Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

RADIO TANKONNON

RADIO TANKONNON

Toujours plus proche de vous.


Zemmour, Moix, Campion : quelles sont les limites à la liberté d’expression ?

Publié par RADIO TAN KONNON sur 29 Septembre 2018, 12:59pm

Catégories : #ACTUALITE

Des injures ou propos diffamatoires peuvent être condamnés, même s’ils ont été proférés dans un cadre privé.

En l’espace de dix jours, trois séquences ont alimenté des polémiques dans les médias et sur les réseaux sociaux : celle d’Eric Zemmour, soutenant face à la chroniqueuse Hapsatou Sy que son prénom est « une insulte à la France », dans un passage coupé de l’émission « Salut les Terriens », sur C8 ; celle de Yann Moix, critiquant dans la même émission le manque de courage des policiers ; celle de Marcel Campion, assimilant les homosexuels à des pervers dans une réunion publique, révélée par Le Journal du dimanche…

Ces clashs savamment orchestrés, même s’ils ne sont pas tous à mettre sur le même plan, font ressurgir un éternel débat entre les défenseurs de « la liberté d’expression que la bien-pensance essaie d’étouffer » et les personnes choquées par la violence de ces propos racistes ou discriminatoires.

Est-il vrai qu’on « ne peut plus rien dire » ? Quelles sont les limites à la liberté d’expression et comment sont-elles prises en compte concrètement par la justice ? Le point avec Me Emmanuel Daoud, avocat au barreau de Paris et membre du collectif des Surligneurs.

Si vous pensez que vous êtes déjà incollable sur le sujet, vous pouvez directement tester vos connaissances en répondant à notre quiz (cliquez ici).

En démocratie, a-t-on le droit de dire ce qu’on veut ?
Le principe de la démocratie repose sur la liberté des citoyens d’exprimer leurs idées et leurs opinions. Elle a été formulée dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui figure dans le préambule de la Constitution :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

« LA LIBERTÉ CONSISTE À POUVOIR FAIRE TOUT CE QUI NE NUIT PAS À AUTRUI »
Cette liberté n’est donc pas absolue : dès le départ, des bornes sont posées en cas d’abus. En effet, comme le proclame l’article 4 de cette même déclaration, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Plusieurs types de limites à la liberté d’expression sont donc fixés par la loi :

  • le respect de la vie privée et de l’image ;
  • dans certains métiers, le secret professionnel, le secret des affaires, le secret-défense ou le devoir de réserve ;
  • l’incitation à la haine raciale, à la discrimination, au terrorisme, à l’usage de drogue ;
  • l’injure ou la diffamation.

Diffamation, injure, outrage : quelle est la différence ?
Une injure est une parole, un écrit, une expression de la pensée délibérément adressé à une personne ou à un groupe, et qui porte atteinte à son honneur ou à sa dignité. Il peut s’agir d’une insulte grossière ou simplement de propos dénigrants. Par exemple : « Maurice est un voleur. »

La diffamation, contrairement à l’injure, repose sur des faits allégués ou imputés. Par exemple : « Maurice, le patron de l’entreprise Bidule, a volé de l’argent dans la caisse. » Comme le précise la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation est punissable, même si on donne l’impression de douter ou de mettre de la nuance (« Maurice a-t-il volé de l’argent ? »), ou si la personne n’est pas expressément nommée, mais reconnaissable par le contexte (« le dirigeant de Bidule »). La personne accusée de diffamation peut se défendre en prouvant que les faits divulgués sont vrais ou que les accusations ont été portées de bonne foi (sans intention de nuire).

L’outrage paraît proche de l’injure, mais il s’agit en fait d’un délit différent, qui porte atteinte non pas à une personne mais à sa fonction. Il a vocation à défendre les corps constitués, les représentants de l’Etat ou les dépositaires de l’autorité publique (élus, ministres, policiers, douaniers, magistrats, arbitres sportifs…).

Enfin, contrairement aux trois premiers, les provocations aux crimes et aux délits, comme l’incitation à la haine raciale ou l’apologie du terrorisme, sont des propos tenus publiquement qui visent non pas une personne mais un groupe, et appellent à l’action envers ce dernier. Les associations peuvent alors porter plainte, et le procureur peut saisir lui-même le tribunal.

Quel est le plus important : le contexte ou la teneur des propos ?
Les deux sont pris en compte. Le contexte dans lequel ont été prononcés ou publiés les propos a de l’importance pour caractériser la gravité de l’infraction. On distingue deux cas :

le cadre public : lorsque cela touche un public étranger aux faits, qui n’est ni la victime, ni l’auteur, ni leur cercle proche. C’est le cas des propos prononcés dans les médias (télévision, journal, site Internet), lors d’une réunion publique, en pleine rue ou dans un lieu privé mais fréquenté par des personnes qui ne se connaissent pas (un magasin par exemple) ;
le cadre privé : lorsque aucun tiers n’est présent, par SMS ou dans un cercle restreint de personnes appartenant à un même groupe (famille, entreprise…).

Les publications sur les réseaux sociaux peuvent appartenir à l’un ou l’autre des cadres selon les paramètres de confidentialité du compte. Une publication sur un mur Facebook accessible à tous est assimilée à une déclaration publique.

La teneur de l’injure ou de la diffamation compte aussi. La sanction sera plus lourde si les propos sont sexistes, racistes, homophobes ou discriminent les personnes handicapées.

N’importe qui peut-il porter plainte ?
En principe, c’est à la victime, c’est-à-dire la cible des propos, de porter plainte. Même si l’injure est particulièrement choquante, un simple citoyen peut s’en indigner mais il n’est pas fondé à se tourner vers la justice.

S’agissant de diffamation, seule la personne identifiée peut agir. Mais pour les propos injurieux ou discriminatoires à caractère plus large (exemple : « Tous les juifs sont des voleurs »), une plainte peut être déposée par des groupes d’intérêt ou des associations dont les statuts et l’objet social le prévoient. Ainsi, un groupe de lutte contre le racisme n’aura pas de légitimité en cas d’injure homophobe. « Les magistrats sont très sensibles à la recevabilité de la plainte », note Me Daoud.

Quelles sont les sanctions ?
La victime a trois mois pour porter plainte. Le délai est porté à un an si les propos sont discriminatoires (liés à l’appartenance réelle ou supposée à une race, nation, religion, à l’orientation sexuelle ou au handicap), et jusqu’à six ans pour l’outrage.

Lorsque les propos oraux ou écrits sont tenus dans un cadre non public, les sanctions sont régies par le code pénal. L’auteur encourt :

  • 38 euros d’amende en cas d’injure ou de diffamation simples ;
  • 1 500 euros, et des peines supplémentaires (stage de citoyenneté, interdiction de port d’arme, travail d’intérêt général…) si elles présentent un caractère raciste ou discriminatoire ;
  • Dans un cadre public, c’est la loi sur la liberté de la presse qui s’applique. L’auteur encourt :
  • 12 000 euros d’amende pour injure ou diffamation de particuliers ;
  • 45 000 euros en cas de diffamation contre les dépositaires de l’autorité publique ;
  • un an de prison et 45 000 euros en cas d’injure ou diffamation à caractère raciste ou discriminatoire.
  • Pour le délit d’outrage, une autre section du Code pénal s’applique et les sanctions sont plus sévères :
  • 7 500 euros et six mois de prison lorsque la personne est chargée d’une mission de service public ;
  • 1 500 euros et un an de prison pour un dépositaire de l’autorité publique.

Dans tous les cas, il s’agit d’un plafond, mais les peines atteignent rarement ce niveau. « Pour des injures publiques à caractère raciste ou antisémite, des peines d’emprisonnement avec sursis sont parfois prononcées, voire des peines fermes aménageables pour des récidivistes, explique Me Daoud. Quant aux diffamations ou injures privées, les avocats essaient le plus souvent de trouver un mode de règlement alternatif. »

Peut-on invoquer l’humour ou le second degré ?
Rien n’est inscrit à ce propos dans la loi, mais les jurisprudences des chambres criminelles ou de la Cour européenne des droits de l’homme, si elle est saisie, accordent davantage de tolérance aux polémistes, humoristes, journalistes ou professions artistiques, pour protéger leur liberté d’expression. Comme le détaille Me Daoud :

« Chaque décision est un cas d’espèce, apprécié en fonction de la personnalité de la personne incriminée, de l’évolution des mœurs ou des circonstances. Par exemple, la tolérance est plus importante dans un meeting politique que dans la rue. C’est compliqué, mais les juristes ont à leur disposition un arsenal de décisions déjà rendues. »

La principale difficulté, selon cet avocat, réside dans la banalisation de la parole raciste, homophobe ou antisémite sur les réseaux sociaux ou sur des sites Internet hébergés à l’étranger. Or, pour porter plainte, il faut identifier le responsable de la publication. Le modérateur ou l’hébergeur d’une plate-forme ne voit sa responsabilité engagée que s’il n’a pas réagi dans un temps raisonnable.

LE MONDE |
Par Anne-Aël Durand

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents