Dans un message publié à l'occasion de la "Fête de la Liberté" célébrée depuis 30 ans par son parti le FPI, Pascal Affi N'Guessan jette un regard sur la démocratie en Côte d'Ivoire. il salue, à cette occasion, la récente libération de Pulchérie GBALET et d’une centaine de prisonniers politiques. Ci-dessous, l'intégralité de son message.
Il y a 31 ans, le 30 avril 1990, un vent joyeux soufflait sur notre chère Côte d’Ivoire. Ce jour-là, le multipartisme s’imposait comme l’autre nom de la liberté. Au FPI, nous voulions y voir les fondations d’une démocratie résolument en marche. C’était le résultat d’années de combat, notre victoire, mais en réalité une victoire pour notre pays tout entier !
Ce 30 avril 2021, si le multipartisme reste un acquis, le souffle est malheureusement retombé. Nous célébrons la liberté, nous glorifions cette valeur fondamentale pour chacun d’entre nous. Mais nous dressons aussi un constat déchirant : notre rêve de bâtir une Nation de liberté, libre et libératrice s’est transformé en défaite collective. Cette liberté que nous chérissons reste en Côte d’Ivoire, une promesse déçue, au mieux virtuelle, le plus souvent bafouée, piétinée, opprimée. Nous venons encore d’en faire l’expérience amère.
Cette année, le 30 avril intervient très exactement six mois après une élection présidentielle qui a, une nouvelle fois, déchiré notre pays, endeuillé de nombreuses familles, ébranlé notre capacité à accéder enfin à une maturité démocratique fondée sur des alternances sereines. Cette élection s’est tenue dans des conditions désastreuses, comme malheureusement toutes celles que nous avons connues depuis notre indépendance. Nous en sortons collectivement meurtris et finalement malheureux parce qu’elle a fragilisé davantage notre pays.
Cette confiscation de la liberté est en réalité la cause de notre triple échec en matière de cohésion nationale, de paix et de développement.
Que signifie en effet la liberté pour un écolier ivoirien qui ne sera que très rarement en mesure de transformer ses rêves d’enfant en avenir, faute d’un système éducatif performant ? Pour un travailleur, alors que 70 à 90% de notre population est condamnée au chômage et que le secteur informel est toujours en attente de professionnalisation ? Pour cette mère de famille qui accouche dans des conditions précaires, pour ce malade qui n’a pas accès à un système sanitaire et hospitalier décent, dans un pays où l’espérance de vie est de 57 ans, l’une des plus basses de la planète ? Plus généralement pour nos populations qui ne disposent pas du minimum, l’eau potable, l’électricité, avec un indice de développement humain qui place la Côte d’Ivoire à la 162ème place sur 189 pays.
Sur le plan politique, la liberté reste une chimère quand on peut perdre la vie, pour être sorti dans la rue manifester en faveur du simple respect du droit, sur fond d’une désobéissance civile à laquelle nos compatriotes ont massivement adhéré ; lorsque l’expression de divergences peut conduire un élu ou un militant politique, une activiste de la société civile en prison, en exil, les priver de toute ressource matérielle. Qu’est-ce que finalement la liberté pour ceux dont l’unique perspective, loin de leurs pays ou derrière les barreaux, est voir les semaines s’égrener dans l’attente d’un geste de bonne volonté du prince aux affaires ?
Nous connaissons les uns et les autres la menace qui pèse sur notre pays. C’est la dislocation d’une Nation en construction sur fond d’exacerbation de nos différences, politiques, ethniques, claniques, communautaires. Cette menace intervient dans un contexte de risques sécuritaires accrus avec un danger terroriste désormais à nos frontières. La montée des périls nous impose, aux uns et aux autres, les uns avec les autres, de faire preuve d’un immense esprit de sagesse et de responsabilité. Nelson Mandela avait une belle formule lorsqu’il disait : « il est si facile de briser et de détruire. Les héros sont ceux qui font la paix et qui construisent ». Aucun d’entre nous ne prétend à l’héroïsme et chacun d’entre nous porte, d’une manière ou d’une autre, une part de responsabilité dans le bilan tragique de notre histoire commune. C’est pourquoi, ensemble, nous devons désormais nous atteler à faire la paix et à construire une Nation, notre Nation. Nous n’avons pas d’autre choix que de prendre collectivement le risque du dialogue et de l’ouverture.
La réconciliation doit cesser d’être une incantation sur fond d’arrière-pensées hypocrites et stériles. La Côte d’Ivoire ne doit plus être ce pays où l’on en parle sans cesse pour mieux s’abstenir de la bâtir. Dans quelques jours, le retour de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé ne doit pas être perçu comme la reprise de « la guerre de 30 ans » après une parenthèse douloureuse de 10 ans.
Pour nous, au Front Populaire Ivoirien, ces retrouvailles prennent une dimension affective et politique toute singulière. Notre vie avec le président Gbagbo est jalonnée de combats épiques gagnés ensemble, perdus ensemble. Depuis quelques années, c’est l’histoire de divisions stratégiques sur le sens de notre action, c’est celle d’une famille fracturée. Nous ne l’avons pas cherché, nous ne l’avons pas voulu mais nous en avons pris acte. Les dissidents se réclament de lui, c’est en son nom que la scission de notre famille politique a été conduite; récemment, c’est encore en se référant à lui que le FPI a été exclu de l’alliance électorale avec le PDCI-RDA. Pour cette raison, la clarification doit venir de Laurent Gbagbo. Elle est nécessaire. La responsabilité lui en incombe. Clarification sur l’enjeu, l’opportunité et la signification politique de notre unité ; clarification aussi et surtout de notre projet pour la Côte d’Ivoire. Ce projet ne saurait se résumer à reprendre le fil d’une histoire tragiquement interrompue le 11 avril 2011, ni à s’enfermer dans le ressentiment et la soif de revanches.
Parce que toute sa vie, il a su affronter et se confronter, je sais que Laurent Gbagbo ne se dérobera pas, qu’il ne s’abritera pas derrière ceux qui, ces dernières années, ont parlé en son nom, peut-être abusivement. Il sera désormais en première ligne. La réussite ou l’échec de l’unité dépend en réalité largement de lui.
J’ai la conviction qu’il saura poser l’acte qui rassemble. La visite au FPI le lundi 26 avril 2021 du Ministre Léon Emmanuel MONNET, président du comité d’organisation de son accueil, me conforte dans l’assurance que l’unité du FPI n’est pas impossible.
Que les rancœurs, les commérages et autres criailleries se taisent ; que tous se mobilisent pour assurer un accueil digne au président Laurent Gbagbo.
Parce qu’il est au pouvoir, parce qu’il porte la responsabilité du blocage du processus démocratique, parce qu’il a, jusqu’à présent choisi la fermeture, privilégié le repli, Alassane Ouattara doit comprendre que c’est à lui qu’il appartient de conduire le processus de réconciliation nationale, de faire le premier pas. Il sait bien que la réconciliation ne saurait se résumer à la nomination d’un ministre, choisi pour service rendu. Il reste de nombreux chainons manquants. La réconciliation passe par la libération de l’ensemble des prisonniers politiques, ceux de la crise de 2010-2011, ceux de la crise de 2020, et tous les autres, le retour aussi de tous les exilés. Nous saluons à cet effet la libération de Pulchérie GBALET et d’une centaine de prisonniers politiques, dont notre Camarade, le Secrétaire National GUILLAUME VAVI. La réconciliation nationale invite à désarmer les cœurs, à déconstruire les antagonismes et à surmonter les meurtrissures du passé afin d’ouvrir la voie à une paix durable et au développement.
Elle impose une méthodologie résolument inclusive sur le modèle des Etats Généraux de la République. Elle constitue aujourd’hui une urgence nationale. Nous appelons solennellement le Chef de l’Etat à s’engager résolument dans ce processus incontournable pour la renaissance de notre pays.
Je le sais bien, notre obstination à célébrer une liberté qui n’existe pas peut surprendre, apparaitre à certains comme une forme d’incongruité. Elle est en réalité la marque de notre volontarisme. A tous ceux qui doutent, j’entends pour ma part opposer l’optimisme de la volonté.
Pascal Affi N’Guessan
Président du Front Populaire Ivoirien (FPI)