Le nouveau projet de loi organique sur le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) a été adopté en Conseil des ministres le 4 octobre 2023. Ce texte vise à garantir la stabilité de l’institution de régulation des médias et de la communication au Burkina, a dit Louis Modeste Ouédraogo, juriste spécialiste des TIC, expert en régulation et chargé de mission du président du CSC.
Libreinfo.net : Dans quel contexte s’inscrit la révision de la loi organique sur le Conseil supérieur de la communication (CSC)?
Louis Modeste Ouédraogo : Il faut dire que la relecture de la loi organique s’inscrit dans une réforme plus grande du droit de la communication débutée en 2022 sous la conduite du ministère de la communication. Déjà en 2015, il y a une réforme qui a permis de relire le code de l’information qui s’est éclaté en trois lois à savoir une loi sur l’audiovisuel, sur la presse écrite et une loi sur la presse en ligne.
Avant cette réforme de 2015, une autre était intervenue en 2013 sur le droit de la régulation suite à la constitutionnalisation du CSC en 2012, ce qui avait d’ailleurs engendré la loi organique n°015-2013. Après quelques années de pratique, on a constaté des lacunes qu’il fallait corriger à travers une autre réforme qui a été d’ailleurs souhaitée par tous les acteurs.
C’est dans ce cadre que le ministère de la communication a entrepris une relecture des trois lois sur la presse pour non seulement combler les lacunes, mais aussi prendre en compte les nouvelles problématiques juridiques à l’œuvre sur le terrain de la communication.
Et on ne pouvait pas relire les lois sur la presse sans prendre en compte un aspect fondamental : la régulation. C’est ce qui justifie que la relecture de la loi organique prenne en compte les nouvelles problématiques de régulation avec l’extension du champ de la régulation aux réseaux sociaux numérique.
Libreinfo.net : Mais est-ce qu’il était urgent de la faire maintenant ?
Louis Modeste Ouédraogo : Quand on considère le fonctionnement du CSC ces dernières années, vous vous rendrez compte que l’institution a traversé plusieurs crises dont la dernière remonte à 2022 avec l’élection du président actuel, monsieur Abdoulazize Bamogo.
Ça veut dire que les origines de ces crises à répétition se trouvent actuellement dans la loi organique dont les imprécisions et les contradictions ont fini par nous convaincre qu’il fallait la revoir. Parce que vous savez que dans le collège actuel, il y a au moins cinq conseillers dont le mandat arrive à expiration.
Vous constaterez qu’ici, il est tout à fait urgent de revoir le mode de désignation du président du CSC avant même la nomination des nouveaux membres du collège. Si le président, lui-même, son mandat est arrivé à expiration, cela veut dire qu’il faut encore, si on reste sous l’empire de l’actuelle loi, organiser une autre élection. Et là, rien ne nous garantit que ça ne sera pas comme les précédentes, c’est-à-dire, des élections qui vont engendrer des crises et une paralysie de notre institution de régulation.
Pendant toute la période des crises, le CSC était inexistant. On ne peut pas se permettre cela dans une République normale.
Dans une République, quand une institution a des problèmes de fonctionnement, les plus hautes autorités qui sont garantes, selon la constitution, du bon fonctionnement des institutions, doivent mettre tout en œuvre pour éviter donc le blocage et permettre la continuité du service public.
Louis Modeste Ouédraogo : Alors par rapport aux innovations, il y en a plusieurs. On va donc juste énumérer les plus grandes. Il y a d’abord l’élargissement des champs de la régulation aux réseaux sociaux numériques.
Concrètement, ça veut dire qu’actuellement, selon le projet de loi, le CSC devient compétent pour réguler les sites de communication au public, c’est-à-dire, les contenus des plateformes, des sites personnels des blogueurs et autres activistes qui auront atteint cinq mille (5000) followers.
Donc, ces gens-là seront soumis à la régulation du CSC. Cela, constitue une innovation majeure. Deuxièmement, il y a des nouvelles attributions qui ont été conférées à l’institution, notamment la mise en œuvre du droit d’accès à l’information publique et aux documents administratifs. Cela veut dire que le CSC pourrait connaître des recours en cas de refus d’accès à l’information ou aux documents administratifs opposé à un citoyen, alors même que la loi 051-2015/CNT consacre ce droit d’accès.
En outre, il y a la simplification du régime des déclarations d’existence pour la création des journaux et de la presse en ligne, et l’institution d’un régime d’autorisation pour les web radios et le web Tv ; cela est une innovation.
Une autre innovation parmi les attributions du CSC, qui est assez importante, est la protection de la société contre le discours de haine et la désinformation.
Ensuite, il y a le renforcement des compétences techniques du collège des conseillers par la définition d’un certain nombre de profils obligatoires à avoir au sein du collège. Cela va permettre au collège d’avoir des profils diversifiés et à même de lui permettre de prendre efficacement en charge les questions de régulation, notamment les nouvelles problématiques de régulation qui se posent aujourd’hui.
Il y a également le mode de désignation du président du CSC qui va changer. On va faire un retour à l’ancien système qui consistait à permettre au chef de l’Etat de désigner directement le président du CSC.
Plusieurs raisons ont prévalu à ce changement : tout d’abord parce que vous voyez que le mode d’élection, en tout cas, n’a pas fonctionné. Ces dernières années, on a vu que l’élection du président par ses pairs a été à l’origine des graves problèmes de fonctionnement ayant même par moment entraîné un blocage de l’institution.
Voilà pourquoi nous pensons que ce n’est pas une innovation en tant que telle, puisque c’est un retour à l’ancien système, mais c’est au moins un changement majeur qu’il faut noter ici.
Enfin, il y a le renforcement de l’indépendance fonctionnelle de l’institution, et cela à travers l’octroi d’une autonomie financière. Le CSC était jusque-là la seule autorité de régulation à n’avoir pas une autonomie financière, alors même qu’il est situé, hiérarchiquement, au-dessus des autres autorités de régulation, puisque c’est la seule qui est constitutionnelle, c’est-à-dire qui est prévue par la Constitution, à savoir l’article 160. 3. 4, en plus d’être la première autorité de régulation constituée dans notre pays.
Alors, il fallait donc corriger cette limite parce que, non seulement l’absence d’autonomie financière constituait un manquement à une obligation communautaire qui découle de la loi n°03/2018/CM/UEMOA du 21 septembre 2018 portant cadre réglementaire pour la production et la circulation de l’image au sein de l’UEMOA, qui impose à chaque État d’accorder une autonomie financière à l’autorité de régulation des médias. Voilà pourquoi le Burkina Faso, en accordant l’autonomie financière, se conforme ainsi à une obligation communautaire.
Au-delà, il faut noter que l’autonomie financière va permettre au CSC de mieux prendre en charge les questions de régulation, surtout l’extension du champ de la régulation aux contenus des réseaux sociaux numériques, ce qui va accroître la charge de travail du CSC.
Cela va nécessiter non seulement des investissements en équipements informatiques et techniques, mais aussi un renforcement des compétences techniques en qualité et en nombre pour que l’institution accomplisse sa mission de régulation de façon optimale.
Libreinfo.net : Quelle est la portée et les enjeux de cette nouvelle loi organique pour l’univers médiatique national ?
Louis Modeste Ouédraogo : Du point de vue de la portée, il faut savoir déjà que c’est une loi organique donc, hiérarchiquement, elle se situe au-dessus des autres lois du secteur de la communication au Burkina Faso.
Il faut savoir que l’espace numérique au Burkina Faso sera maintenant surveillé. Nous n’avons pas la prétention de pouvoir, à travers cette loi, surveiller toutes les plateformes ou encore endiguer tous les problèmes qui se posent actuellement sur le terrain de la communication public ou sur la toile, mais nous savons qu’il y a un début de régulation de ces contenus sur internet qui se mettra en place avec cette loi organique.
Du point de vue de l’enjeu c’est déjà d’amorcer une régulation ambitieuse, parce que, jusque-là, nous faisons de la régulation, mais qui ne prend pas forcément en compte les nouvelles problématiques soulevées par le développement des communications numériques.
Ici l’enjeu, c’est de pouvoir mettre le pied sur la toile, c’est-à-dire permettre à l’Etat d’encadrer les contenus et de ces plateformes et réseaux sociaux numériques, conformément aux recommandations des instances internationales, mais aussi des grands groupes internationaux du numérique qui demandent à chaque État de faire un effort d’encadrement pour soutenir et compléter leurs efforts d’autorégulation dont l’impact est moindre.
Il s’agit également de responsabiliser davantage tous les acteurs, que ce soient les bénéficiaires de la liberté d’expression, ou les responsables des plateformes numériques et des réseaux sociaux, pour que les efforts conjugués engendrent de la co-régulation, et même de l’inter-régulation, en vue d’un meilleur encadrement de cet espace de liberté que nous devons à tout prix préserver.
Libreinfo.net : Quand vous parlez de régulation des pages, concrètement il s’agit de quoi au juste ?
Louis Modeste Ouédraogo : Alors il faut se dire que quand vous considérez l’exemple de Facebook, il faut faire la part des choses entre les amis et les suiveurs. Quelqu’un ne peut pas avoir plus de cinq mille amis, mais il peut avoir des milliers ou même des millions de followers.
Dans la mise en œuvre, nous verrons concrètement quelle politique de régulation, quels mécanismes de régulation mettre en place, pour qu’ils soient efficaces dans la prise en compte des nouvelles problématiques.
Mais nous parlons ici d’un projet de loi avec la volonté du gouvernement qui a fixé la barre à cinq mille followers, mais rien ne nous dit qu’après les débats à l’assemblée nationale, cela ne va pas évoluer.
Même si cela reste à 5 000, il suffit que l’État donne les moyens au CSC pour qu’il puisse s’équiper en technologies, mais aussi pour qu’il puisse renforcer ses compétences humaines et techniques.
Libreinfo.net : Est-ce que cela veut dire que les pages qui seront en dessous des 5 000 ne seront pas surveillées ?
Ces pages ne seront pas soumises à la régulation comme des médias, mais cela ne veut pas dire que les auteurs de ces pages pourront publier ce qu’ils veulent, sans tenir compte des limites de la liberté d’expression, des limites légales.
Voilà pourquoi j’ai dit qu’on n’a pas la prétention de finir tous les problèmes sur internet, mais il faut savoir que la régulation faite à l’autorité administrative qu’est le CSC, n’est pas la seule qui s’opère sur internet. Il y a une complémentarité que l’Etat doit travailler à instaurer entre toutes les administrations publiques qui régulent l’espace public, en ce compris l’espace numérique, d’où la nécessité de l’inter-régulation.
Je voudrais rassurer l’opinion que la loi est générale et impersonnelle et qu’elle était nécessaire parce que la société en avait besoin. Il faut que tout le monde accepte le principe qu’il n’y a pas de société organisée sans loi. Sinon, c’est bonjour le désordre.
Voilà pourquoi, l’État a pris ses responsabilités pour prendre en charge ces questions nouvelles à travers la relecture de la loi, et permettre également à l’instance de régulation d’avoir plus de stabilité et de moyens pour accomplir cette mission délicate et indispensable qu’est la régulation de la communication.
Je comprends que certains puissent avoir des appréhensions par rapport à certaines dispositions, mais je voudrais rassurer en disant que c’est tout à fait nécessaire dans toute société démocratique, que la liberté d’expression puisse être limitée pour des motifs d’ordre public, de santé publique, de moralité publique, de sécurité publique et de bonnes mœurs. Alors il fallait que l’État trouve une base légale pour pouvoir encadrer la liberté d’expression.
Vous savez, on peut être jaloux de sa liberté jusqu’à ce que la liberté de quelqu’un nous fasse du tort un jour, et là on comprendra mieux l’attitude de l’État qui, tend souvent à encadrer la liberté. Il le fait dans l’intérêt de tous !
Que les plus sceptiques soient rassurés :
Tout d’abord, il y aura un contrôle de constitutionnalité. Si la loi sur le CSC viole les libertés fondamentales prévues par la Constitution, le Conseil constitutionnel va le relever. Et ces dispositions ne vont pas passer. Donc, ça, c’est déjà un garde-fou qu’il faut prendre en compte.
Il y a également des garanties procédurales qui empêcheront au CSC d’abuser des prérogatives qui lui ont été conférées par la loi, à travers des dispositions renforçant le respect des droits de la défense. Il y a, enfin, la possibilité de recours en justice contre les décisions de régulation du CSC, que ce soit des actes réglementaires ou les décisions individuelles qui viendraient à porter atteinte aux droits ou aux intérêts des personnes. Mais qu’on ne nie pas à l’Etat son devoir de garantir une société saine, un exercice sain de la liberté d’expression.
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