
Ses publications sur les réseaux sociaux l’ont fait connaître du grand public et ont permis de faire entendre la voix des sans-abri de la capitale. Christian Page, qui vivait à la rue depuis trois ans et demi, a obtenu un logement social et a partagé sa joie sur Twitter lundi 7 août. Entretien.
Il s’est fait connaître comme le « SDF 2.0 » de Paris, après un premier tweet viral en novembre 2016. Ce matin-là, Christian Page se fait déloger par un agent de la ville à coups de jets d’eau froide. Ses couvertures sont inutilisables, il tweete sa colère et dès le lendemain, la municipalité lui redonne un sac de couchage.
Auparavant sommelier et maître d’hôtel dans de grands établissements parisiens, Christian Page démissionne après son divorce, perd son appartement et se retrouve à la rue en 2015. Depuis, ce Franco-Suisse raconte sa vie dans la rue sur les réseaux sociaux, dénonçant les problèmes auxquels sont confrontés les sans-abri de la capitale. En décembre 2017, il publie la photo d’installations destinées à empêcher les SDF de s’installer sur une bouche d’aération et obtient leur retrait. Son succès sur internet lui vaut des invitations dans les médias pour évoquer la condition des sans-abri.
Lundi 6 août, Christian Page a tweeté des photos de l’appartement qu’il occupe désormais, tirant un trait sur trois ans et demi à la rue. Entretien.
Comment avez-vous obtenu ce logement ?
C’est arrivé naturellement si je puis dire : tous les sans-abri sont inscrits pour obtenir un logement social par le SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation). Quand une place est libre, un SDF obtient un logement. Moi ça a mis trois ans et demi. J’ai 45 ans, je suis en bonne santé mentale et physique, je n’étais pas prioritaire.
Salut à tous...
Je rêvais depuis longtemps de vous envoyer ce tweet...
D'abord ils m'ont blacklisté mais en fin de compte, ils ont plié...
Je ne suis plus #SansAbri...
Merci @EMMAUSolidarite et surtout merci à vous TOUS qui m'avez soutenu...
L'aventure continue... BIZ XXL... pic.twitter.com/JBdSDxZGWz
— Page (@Pagechris75) 6 août 2018
Salut à tous...
Je rêvais depuis longtemps de vous envoyer ce tweet...
D'abord ils m'ont blacklisté mais en fin de compte, ils ont plié...
Je ne suis plus #SansAbri...
Merci @EMMAUSolidarite et surtout merci à vous TOUS qui m'avez soutenu...
L'aventure continue... BIZ XXL... pic.twitter.com/JBdSDxZGWz
— Page (@Pagechris75) 6 août 2018
La dernière fois que j’ai dormi dans un lit c’était en janvier. Anne-Elisabeth Lemoine, de France 5, m’avait payé dix jours d’hôtel, au moment où il s’est mis à neiger. D'autres personnalités comme Anne-Sophie Lapix et Guillaume Meurice m'ont aidé aussi.
Votre visibilité médiatique vous a-t-elle facilité les choses ?
Pas vraiment, il y a des portes qui se sont fermées. Comme je ne sais pas mentir et que je me suis exprimé sur certaines structures, ça n’a pas toujours plu donc on m’a un peu blacklisté.
Comme partout, la liberté de parole peut jouer des tours, mais je sais me défendre, j’ai un discours qui tient la route, je connais les textes qui garantissent le droit à un logement. La loi c’est la loi, alors j’ai fini par obtenir une place.
Vous avez maintenant plus de 29 000 followers sur Twitter, est-ce que ça a changé quelque chose à votre quotidien ?
Le nombre ne veut rien dire, au final c’est une centaine de personnes qui m’aident. Par contre, mes followers je les rencontre. Je suis dans le réel, pas dans le virtuel.
Quand il m’arrive quelque chose et que j’ai besoin d’aide, je le dis sur Twitter et on m’aide c’est vrai. Là on m’a envoyé un colis de Lorient, avec des rillettes de crabes et des choses comme ça, on s’est fait un bon pique-nique avec les copains.
Comment expliquez-vous le succès que vous rencontrez sur Twitter ?
J’ai commencé en novembre 2016, j’avais 6 followers. Je ne me soucie pas de ce que les gens aiment ou pas. Il faut croire qu’ils aiment ! Je raconte mon quotidien, c’est une sorte de journal de la vie dans la rue. J’y mets mes coups de cœur et mes coups de gueule.
Salut à tous
Rue de Meaux 75019
Grilles d'air chaud ou parfois se posaient les #SDF. Sauf que maintenant voilà#soyonshumains @Abbe_Pierre
Sinon venez cet aprèm' à 15h M° Varennes avec le DAL... Histoire de se faire entendre @federationdal
Joyeux Noël pic.twitter.com/DRSAMBmQzb
— Page (@Pagechris75) 25 décembre 2017
J’y mets beaucoup d’humour, mais la rue c’est aussi la violence. Peu de mecs de la rue parlent autant que moi, ça rend aussi les choses plus difficiles pour ceux qui veulent aider, alors moi je réponds, quand on me demande comment s’y prendre. Je donne des exemples simples : ouvrir son armoire, prendre quelques vêtements et les donner au type en bas de sa rue.
Quels sont vos projets, maintenant que vous avez un logement ?
Je ne suis plus dans la rue depuis hier seulement et dans la rue tu ne réfléchis pas à des projets concrets. La nuit tu te bats, le matin tu te réveilles heureux si tu es en vie avec toutes tes affaires. Maintenant que je suis posé, je vais réfléchir à un projet professionnel.
Ce matin j’ai pris ma douche et mon petit-déjeuner en 17 minutes, quand dans la rue tu mets deux heures : ça ouvre les perspectives. Comment tu veux te présenter à un boulot quand tu es à la rue et que les structures d’aide ouvrent à 9 h et ferment à 17 h ? C’est impossible.
Vous n’avez pas envie de retourner travailler dans la restauration comme par le passé ?
Non, ça ne m’intéresse plus. La restauration m’a coûté ma femme, mon fils et trois ans dans la rue, alors non. Je vais plutôt me tourner vers la communication et les réseaux sociaux, ça, je crois que j’ai le truc !
J’ai écrit un bouquin qui devrait sortir en novembre, c’est déjà pas mal. Tant qu’une personne mourra dans la rue, je ne m’arrêterai pas. Parce que ça peut arriver à tout le monde, un accident de la vie qui te fait dégringoler jusque dans la rue.
Avec ce logement, la page se tourne pour vous ?
Je me suis fait expulser de mon appartement il y a trois ans, mais je n’ai pas changé de personnalité. Je vois ça comme une route sur laquelle tu avances et tout à coup le pont devant toi s’effondre. Tu attends que le pont soit reconstruit pour traverser. Si tu as mal mis la marche avant tu peux tomber, mais moi j’ai mis le frein à main et j’ai attendu. Là le pont est reconstruit et j’ai retraversé. C’est fini, cet accident.
SOURCE: https://www.ouest-france.fr/