Le Maroc a décroché une qualification historique pour les quarts de finale de la Coupe du monde 2022 en éliminant l’Espagne, mardi au Qatar (0-0, 3 tab à 0). Un succès impulsé par Walid Regragui. Nommé à la fin de l’été, le sélectionneur de 47 ans, natif de l'Essonne, s’est rapidement imposé à la tête des Lions de l’Atlas. Pour en tirer le meilleur.
Le roi a décroché son téléphone pour le féliciter en personne. Après le succès historique du Maroc face à l’Espagne en huitième de finale de la Coupe du monde 2022, mardi au Qatar (0-0, 3 tab à 0), Mohammed VI a appelé Walid Regragui afin de lui témoigner son soutien et sa reconnaissance. "C’est quelque chose d’extraordinaire pour un Marocain", souffle le sélectionneur des Lions de l’Atlas, touché par les mots du monarque de 59 ans, qui a paradé dans les rues de Rabat avec un drapeau et un maillot de l’équipe nationale. Cette marque d’estime du souverain de la nation, couronné après le décès de son père Hassan II en 1999, confirme l’aura grandissante de Walid Regragui dans le royaume chérifien.
Moins de trois mois après sa nomination à la place de Vahid Halihodzic, fin août, le coach de 47 ans fait déjà partie de la légende. Jamais le Maroc n’avait atteint les quarts de finale d’un Mondial. Premiers du groupe E, devant la Croatie, la Belgique et le Canada, les coéquipiers d’Achraf Hakimi (toujours invaincus) ont créé l’exploit en sortant la Roja de Sergio Busquets. Avant même leur quart de finale face au Portugal, samedi à Doha (16h), les Lions de l’Atlas ont déjà réussi leur compétition.
Mettre ses joueurs "en confiance"
Malgré son arrivée tardive, Regragui a su bâtir un groupe soudé et combatif, dont il tire le meilleur au Moyen-Orient. Mais à l’heure des congratulations, le technicien maghrébin préfère descendre de la scène. Contrairement à d’autres. "J’ai toujours dit que c’était les joueurs qui faisaient l’entraîneur, explique-t-il. Il y a beaucoup d’escrocs dans le football, des coachs qui veulent faire croire qu’ils sont des magiciens. Mais quand vous avez des bons joueurs, c’est toujours plus facile pour le coach. Quand vous arrivez à les faire adhérer, c’est encore mieux. Moi j’apporte ce que je sais faire. J’essaye de leur donner un maximum de confiance, une base solide. Après ce sont eux qui me donnent raison ou tort."
Pour l’instant, ils lui donnent raison. Dans des proportions assez inattendues. Depuis le début du Mondial, le Maroc a inscrit quatre buts et n’en a encaissé qu’un seul (un csc de Nayef Aguerd contre le Canada). Organisés en 4-3-3, les partenaires de Romain Saïss, impérial dans son rôle de capitaine, laissent très peu d’opportunités à leurs adversaires. A l’image de Sofyan Amrabat (l’une des révélations du tournoi), monumental dans l’entrejeu, ou de Yassine Bounou, le gardien héroïque, auteur de deux arrêts lors de la séance de tirs aux buts contre l’Espagne. Après une longue période loin de la sélection, Hakim Zieych est revenu avec une envie débordante. Noussair Mazraoui également.
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"Il a complétement changé la mentalité"
"La philosophie de Regragui, c’est de jouer avec un bloc bas et des joueurs de contre-attaque, illustre un journaliste marocain, interrogé sur RMC. Il a complétement changé la mentalité et l’état d’esprit des joueurs. C’est un winner." Son management fédérateur et fraternel tranche avec le regard glacial d’Halilhodzic, qui était notamment en conflit avec Ziyech. "Ce n’est pas que je lui en veux à Vahid, mais après son départ, les joueurs se sont libérés, observe l’ancien attaquant Mustapha Hadji, qui compte 63 sélections (13 buts) et a été l’adjoint du technicien bosnien. Vahid, c’est très dur. Trop de discipline tue la discipline. A force, tu perds les joueurs, tu perds tout le monde quand tu es trop dur."
Beaucoup plus jeune que son prédécesseur, Walid Regragui maîtrise les codes de la nouvelle génération. Capable de s’exprimer en français, en arabe, en espagnol et en anglais, il est très proche de son vestiaire, au sein duquel son discours trouve un écho naturel. Et comme beaucoup de ses joueurs, il est lui-même binational.
Un porte-parole des binationaux
Né dans l’Essonne, au sud de la région parisienne, Regragui a grandi à Corbeil, dans une famille marocaine originaire de Fnideq. Une ville située à une trentaine de kilomètres au nord de Tétouan, sur la côte méditerranéenne, où ce troisième d’une fratrie de six enfants se rend presque chaque été pour les vacances. Dans les pas de son grand frère Nordine, lui aussi à l’aise avec le ballon. De quoi tisser un lien puissant avec le pays natal de ses parents.
"Je me suis toujours battu pour dire que tout Marocain avec la nationalité est un Marocain, qu'il vienne de France, de Belgique, du Maroc ou d'ailleurs, revendique le nouvel homme fort des Lions de l’Atlas. Si le gars veut mourir, se battre pour ce maillot. Je suis né en France mais personne n'a un cœur plus marocain que moi. Quand tu viens en équipe nationale, il faut donner 100%, j'ai des joueurs nés en Allemagne, en France, en Belgique, aux Pays-Bas et je fais un milkshake avec tout ça."
Un talent découvert par Rudi Garcia
Avant de s’assoir sur un banc, Walid Regragui a effectué une carrière honorable en crampons. Dans un rôle de latéral droit, qui l’a mené en équipe du Maroc à 44 reprises (1 but)1 but). Avec une finale de CAN perdue face à la Tunisie à Radès en 2004 (2-1). C’est Rudi Garcia qui l’a repéré lorsqu’il dirigeait le club de Corbeil en division d’honneur en 1997. Avant de le faire venir à Dijon dix ans plus tard.
"C’est un peu le fils que je n’ai jamais eu, a récemment confié au Parisien le coach d’Al-Nassr (Arabie saoudite), père de trois filles. Il a fait du Maroc une équipe cohérente avec une âme. Regardez comment Walid est en communion avec ses joueurs. Ça, c’est fort car il a eu peu de temps pour y arriver. Je suis allé le voir à son hôtel avant le match contre la Belgique (victoire 2-0). Et il m’a expliqué sa méthode. Je le trouve très bon sur le plan psychologique."
Vainqueur de la LDC africaine avec le WAC
Passé par Toulouse, l’AC Ajaccio (où il a été champion de Ligue 2), Grenoble (où il a brièvement côtoyé Olivier Giroud) ou le Racing Santander (en Espagne), Walid Regragui explique s’inspirer des entraîneurs avec qui il a travaillé durant sa première vie. Rudi Garcia, bien sûr, mais aussi Rolland Courbis, dont il appréciait les causeries, Alain Giresse, Robert Nouzaret ou Dominique Bijotat. Réputé pour son charisme et son leadership, l’ancien gamin du quartier Montconseil, titulaire d’un bac+4 en économie, a débuté son aventure d’entraîneur en tant qu’assistant de Rachid Taoussi chez les Lions de l’Atlas.
Il a ensuite endossé le costume de n°1 au FUS de Rabat, où il a lancé Nayef Aguerd chez les pros et remporté la Botola Pro en 2016. Après une aventure fructueuse à Al-Duhail (Qatar), où il a été sacré champion, Regragui a pris la tête du Wydad Casablanca en août 2021. Et il a mené le WAC vers un sacre en Ligue des champions africaine (victoire en finale face aux Égyptiens d’Al-Ahly) et un vingt-deuxième titre national. Avant d’être appelé par la sélection le 31 août dernier et de devenir le premier entraîneur africain à atteindre les quarts de finale d’une Coupe du monde.
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"Pourquoi ne pas gagner la Coupe du monde?"
Porté en triomphe par ses joueurs, qui semblent prêts à s’arracher pour lui, Walid Regragui (ancien consultant pour beIN SPORTS), ne se fixe pas de limite au Qatar. "J'ai dit qu'il fallait être ambitieux dès notre arrivée et c'est ce qu'ont cru les gars. Pourquoi ne pas gagner la Coupe du monde? Même si on a lâché beaucoup d'énergie. Depuis le début, on est en mission. Les joueurs ont compris qu'il fallait arrêter d'avoir des complexes. Il ne faut pas s'enflammer, parce que les joueurs sont sur les rotules, mais pour le pays, ils sont prêts à mourir."
Une mentalité qui peut permettre au Maroc de voir plus grand dans les années à venir. Surtout avec un guide si inspirant. Après un tel automne, Walid Regragui, qui a regretté publiquement que l’Afrique n’ait que cinq pays qualifiés au Mondial, ne devrait pas manquer de propositions. Certains l’imaginent sur le banc d’un club de haut de tableau dans le futur. Lui a l’air focus sur son job auprès de la Fédération marocaine, avec laquelle il est sous contrat jusqu’en 2025.
La CAN 2024 dans le viseur
"Avec les résultats qu'il vient d'obtenir, il a gagné quelques années de tranquillité, a estimé sur Eurosport l’ex-international Youssouf Hadji, petit-frère de Mustapha (64 sélections, 16 buts). Il va pouvoir travailler sur la durée". Avec la CAN 2024 en Côte d’Ivoire dans le viseur. Un trophée que les Lions de l’Atlas n’ont remporté qu’une fois, en 1976. Six mois après la naissance de Walid Regragui…
DOSSIER: Coupe du monde 2022
Alexandre Jaquin
Journaliste RMC Sport