Le journaliste, rédacteur en chef du journal Le Provincial, Mustapha Bendjama n’en a pas fini avec l’acharnement policier et judiciaire dont il fait l’objet depuis le début du Hirak en 2019. Frappé d’une interdiction arbitraire de quitter le territoire national, le journaliste est en détention depuis le 19 février. Il risque jusqu’à dix ans de prison.
Le 6 février 2023, l’activiste Amira Bouraoui arrive à Lyon en France, après une journée mouvementée à Tunis, où elle était sur le point d’être extradée vers Alger pour sa présence illégale sur le territoire tunisien. Faisant l’objet d’une ISTN en Algérie, elle avait quitté l’Algérie en utilisant le passeport de sa mère.
Portant une double nationalité algéro-française, elle regagne la France avec l’aide des services consulaires français. L’Algérie, en colère, accuse des services diplomatiques et sécuritaires français d’avoir « exfiltré » la ressortissante franco-algérienne et rappelle son ambassadeur à Paris, avant d’opérer une série d’arrestations, parmi lesquelles des personnes dans l’entourage de la militante. De son côté, la France, qui banalise d’abord l’évènement, réagit bien plus tard, par la voix de son président Emmanuel Macron en accusant des parties qui veulent saper les relations entre Alger et Paris.
Deux jours plus tard, soit le 08 février, le journaliste Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du Provincial qui parait à Annaba, est arrêté sur son lieu de travail par les services de recherches de la gendarmerie et son smartphone et ordinateur sont saisis. Il est l’une des premières personnes de son entourage mise en cause en raison de ses liens d’amitié avec la militante, originaire comme lui d’Annaba, et qu’il avait connue pendant le Hirak. « Mustapaha Bendjama a été arrêté. Son seul tort est qu’il habite à Annaba. Ceci dit, tout ce qui arrive à Annaba, c’est automatiquement Mustapaha Bendjama qui est arrêté. Laissez-le tranquille ! », lance sur Twitter Abdelkrim Zeghilèche, militant politique de l’UCP, qui connait bien le journaliste. Abdelkrim Zeghilèche a peut-être raison de le penser : l’arrestation de Mustapha Bendjama n’est qu’un épisode de plus d’une série d’intimidations et d’acharnement le ciblant depuis le début du Hirak.
Un journaliste qui dérange
« La presse régionale subit des pressions plus importantes que la presse nationale parce que la presse nationale pèse plus. Et même si un média est fermé, il peut résister et même aller au-delà pour dénoncer et combattre. La presse régionale est une presse plutôt fragile. On peut nous écraser sans que personne n’entende parler de nous ».
Lorsqu’il assène ces vérités sur le plateau de TSA en 2019, Mustapha Bendjama n’était pas encore poursuivi, mais il était conscient des risques qu’il encourait en tant que journaliste d’un média en région.
C’est au Provincial, qui parait à Annaba, que Mustapha Bendjama, 32 ans, fait ses premiers pas dans le journalisme, d’abord comme pigiste puis comme journaliste permanent, après avoir obtenu son Master en mathématiques à l’université d’Annaba.
Passionné par le métier, il gravit très vite les échelons en devenant rédacteur en chef, à seulement 25 ans. « Pour Mustapha, le journalisme est une véritable vocation. Il est passionné par son travail et cela se reflète dans son engagement en faveur de la vérité et l’intégrité de sa profession », témoigne Bouchra Naamane, journaliste, auteure de l’alerte donnée sur les réseaux sociaux le jour de l’arrestation de Bendjama.
« Pour moi, c’est un exemple à suivre en matière de journalisme libre et responsable », dit-elle. « Mustapha m’a beaucoup aidé à améliorer la qualité de mon travail. Il a cette capacité d’encadrer et d’accompagner les jeunes journalistes », soutient, pour sa part, Aïmen Saheb, un de ses anciens collègues, aujourd’hui établi à Londres.
Comme des millions d’Algériens, Mustapha Bendjama a ressenti l’humiliation lorsque le défunt Abdelaziz Bouteflika s’est présenté en 2019 pour un cinquième mandat. On se souvient, d’ailleurs, de sa photo, devenue virale sur les réseaux sociaux, tenant la pancarte « non au 5e mandat », prise lors d’une marche quelques jours avant le 22 février 2019.
Très actif pendant le Hirak, en tant que journaliste et militant pour les libertés démocratiques, il répond toujours présent lors des manifestations populaires. Il se déplace même à Alger pour prendre part, notamment au sit-in de solidarité avec son confrère Khaled Drareni, placé sous mandat de dépôt en 2020.
Lorsque la répression a commencé à s’abattre sur les algériens qui battaient le pavé partout dans le pays autour des revendications de changement, notamment depuis l’annonce des élections présidentielles en juin 2019, Mustapha Bendjama et d’autres journalsites, dont Khaled Drareni ont créé le collectif des journalistes algériens unis (JAU), dont Khaled Drareni, pour défendre la liberté de la presse en Algérie. Une initiative qui ne fait pas long feu, surtout avec l’arrestation de Khaled Drareni. « Dès qu’il y a un noyau qui se construit, le pouvoir met la pression en recourant à tous les moyens répressifs possibles. Les journalistes ne peuvent pas adhérer à un mouvement qui est déjà réprimé », affirme le journaliste dans un entretien à Radio M.
Harcelé en permanence par les autorités à cause de ses couvertures des manifestations populaires à Annaba et ses publications sur son compte Facebook, depuis le début de l’insurrection populaire, le journaliste ne pouvait plus quitter la rédaction du Provincial pour couvrir les marches du Hirak sous peine d’être arrêté.
Les pressions s’intensifient avec la proximité des élections présidentielles de décembre 2020 et le journaliste doit faire face à d’incessantes gardes à vues suivies par des présentations devant la justice. Il est poursuivi dans au moins six affaires et souvent pour les mêmes griefs : « atteinte aux intérêts nationaux » et à « l’unité nationale ». Les passages dans les commissariats de police et les tribunaux deviennent son lot quotidien. « Il ne me restait qu’une seule journée pour travailler et encore je restais pensif », disait-il.
En 2020, il est arrêté en bas de son bureau alors qu’il avait rendez-vous avec ses avocats. Son tort? Avoir partagé sur les réseaux sociaux la tenue d’un rassemblement hostile à la tenue d’un meeting d’Ali Benflis, candidat alors à la présidentielle. Alors qu’il était de passage seulement, la justice l’accuse « d’entrave au processus électoral » et « d’incitation à attroupement non armé ». S’il finit par être acquitté en appel dans cette affaire, il est condamné, en revanche, dans d’autres.
Le 27 juin 2021, il est condamné en appel par la Cour d’Annaba à deux mois de prison avec sursis pour « atteinte à l’intérêt national » pour des publications sur Facebook. En décembre 2021, le tribunal d’Annaba le condamne par contumace à un an de prison ferme et 200 000 dinars d’amende pour « diffamation », suite à une plainte déposée contre lui par le Wali d’Annaba, Djamel-Eddine Berimi.
A l’origine de cette plainte: un article sur la célébration d’un mariage non autorisée pendant la période du Covid 19, au moment où tout le pays était soumis à des restrictions sanitaires.
« Pour une fois, ayant cru avoir rendu service aux autorités, je me suis retrouvé poursuivi en justice », ironisait le journaliste. A cela s’ajoutent les contrôles judiciaires, les fréquentes intimidations et l’interdiction de quitter le territoire national. Comme si cela ne suffisait pas, il est victime d’une violente agression dans la nuit du 7 au 8 février 2022 à la sortie de son bureau. Une agression qui lui laisse des séquelles psychologiques et physiques. Interrogé par la presse, le journaliste déclare « qu’il n’avait aucun souvenir de cette agression », et qu’il se rappelait juste de s’être réveillé à l’hôpital avec des blessures sur le visage et le corps.
Malgré toutes ces pressions, le journaliste n’a jamais courbé l’échine ni cédé aux intimidations. Bien au contraire, il a toujours dénoncé les pratiques arbitraires des autorités le ciblant, lui et d’autres journalistes et militants pour les droits humains. « Des fois, on me joue sur le moral, mais je n’ai pas envie de leur faire plaisir. Leur objectif n’est pas de m’emprisonner, en tout cas pas pour le moment, mais de m’empêcher de travailler », déclarait Mustapaha Bendjama en 2020.
Une plainte contre le ministre de l’intérieur et le DGSN
Depuis fin 2021, beaucoup d’algériens qui ont des liens avec le Hirak sont frappés par une interdiction de quitter le territoire national sans décision de justice à l’exemple de la militante Amira Bouraoui, du défenseur des droits humains Kaddour Chouicha et bien d’autres.
En octobre 2022, le journaliste Mustapha Bendjama est arrêté à Oum Tebboul alors qu’il se rendait en Tunisie pour des vacances. Le journaliste est transféré à la sûreté de la daïra d’El Kala qu’il a quitté à 6h du matin.
Etant certain d’avoir le droit de sortir du pays, puisqu’il a été réhabilité après l’ISTN dont il faisait l’objet en 2019, il refait la tentative trois fois consécutives avant d’avoir un « semblant » d’explication de la part du chef du centre frontalier : « Ce sont les instructions du haut commandement. Vous n’êtes pas sous ISTN, mais nous ne pouvons vous laisser quitter le pays », lui a confié le responsable en question.
Si la plupart des personnes frappées arbitrairement par cette ISTN ont préféré garder le silence, par crainte de représailles, Mustapaha Bendjama a porté plainte contre X pour « abus de pouvoir et atteinte aux libertés individuelles ».
Quelques semaines avant son arrestation le 8 février, le journaliste avait lancé un appel sur son compte Facebook aux citoyens qui sont dans la même situation que lui pour entamer une procédure de plainte contre le DGSN et le ministre de l’Intérieur devant le Conseil d’Etat.
De lourdes accusations après l’ouverture de son smartphone
Le 18 février 2023, les éditions Koukou ont annoncé la sortie en librairie de l’ouvrage collectif « Algérie, l’avenir en jeu : essai sur les perspectives d’un pays en suspens ».
Le coordinateur de cet ouvrage, le chercheur Raouf Farrah et l’un de ses contributeurs, le journaliste Mustapha Bendjama étaient déjà en garde à vue à la brigade d’Al-Hattab à Annaba.
Ils ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête de l’affaire Amira Bouraoui. Mustapha Bendjama a été maintenu douze jours en garde à vue, et s’est retrouvé poursuivi dans deux affaires après l’exploitation des données de son smartphone par la gendarmerie. Le 19 février, les deux ont été placés en détention préventive avec d’autres personnes inculpées dans les deux affaires.
Dans la première affaire dite « Amira Bouraoui », Mustapha Bendjama est accusé de « participation à une organisation criminelle d’émigration clandestine ». Dans le second dossier, il est poursuivi avec le chercheur Raouf Farrah de « de financement depuis l’étranger » en vertu de l’article 95bis introduit dans le code pénal en 2020, et de « publication sur internet de document classifiés », en vertu de l’article 38 de la loi relative à la protection des données et des documents administratifs promulguée en juin 2021.
L’article 38 prévoit des peines entre cinq ans à dix ans de prison ferme et une amende de 500.000 à 1.000.000 dinars. L’article 95bis du code pénal, le même par lequel est poursuivi le journaliste en détention Ihsane El Kadi, prévoit des peines entre cinq ans et sept ans de prison et une amende de atteignant 700 000 dinars.
Deux mois après son arrestation, le journaliste a été auditionné plusieurs fois, l’instruction est toujours en cours. Sa demande de liberté provisoire a été rejetée le 6 mars dernier.
Le cas du journaliste Mustapha Bendjama n’est pas un cas isolé. Après Ihsane El Kadi, c’est le deuxième journaliste qui se retrouve en prison en 2023.
Son emprisonnement n’est que le prolongement de quatre ans d’intimidations en raison de son activité de journaliste à Annaba et son engagement pour la démocratie.
Son arrestation s’inscrit dans la répression généralisée des journalistes et des militants du Hirak et qui s’est intensifiée avec l’approche des élections présidentielles de 2024.
M.B