Dans un geste sans précédent, les autorités burkinabè ont annoncé la suspension de la diffusion de la chaîne francophone TV5 Monde pour une durée de deux semaines, ainsi que l'accès à plusieurs sites d'information étrangers, dont Deutsche Welle, Ouest-France, Le Monde.fr, The Guardian, et AgenceEcofin, "jusqu'à nouvel ordre". Cette décision radicale, prise par le Conseil supérieur de la communication (CSC) du Burkina Faso, fait suite à une série de suspensions similaires visant des médias internationaux, notamment la BBC et Voice of America (VOA), également pour une période de deux semaines.
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Le motif invoqué par le CSC pour cette nouvelle série de suspensions est la diffusion d'un rapport accusant l'armée burkinabè de graves violations des droits de l'homme. Ce rapport, émanant de l'organisation Human Rights Watch (HRW), accuse l'armée d'avoir exécuté au moins 223 civils, dont 56 enfants, dans deux villages le 25 février dernier. Le CSC affirme avoir identifié dans les contenus diffusés par ces médias des déclarations jugées "péremptoires et tendancieuses" à l'encontre de l'armée burkinabè, qualifiant ces informations de "désinformation" pouvant porter préjudice à l'institution militaire.
Dans un communiqué officiel, le ministre burkinabè de la Communication, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, a vivement réagi aux accusations portées par HRW, rejetant fermement les allégations d'exactions de l'armée burkinabè et dénonçant une "campagne médiatique" visant à discréditer les forces armées engagées dans la lutte contre le terrorisme. Il souligne que toutes les allégations de violations des droits de l'homme font l'objet d'enquêtes rigoureuses de la part du gouvernement et du Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme, affirmant que les forces armées ne sauraient être à la fois protectrices des populations et coupables d'actes aussi répréhensibles que ceux allégués.
Cette décision de suspension s'inscrit dans un contexte politique tendu, marqué par l'instabilité qui règne depuis l'arrivée au pouvoir du régime militaire dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré en 2022, suite à deux coups d'État successifs. Depuis lors, le régime a fait l'objet de nombreuses critiques concernant sa gestion des libertés fondamentales, notamment la liberté d'expression et la liberté de la presse. Les médias étrangers, en particulier les médias français, ont été la cible de suspensions temporaires ou définitives, alimentant les inquiétudes quant à la situation des droits de l'homme et à la liberté d'information au Burkina Faso.
Cette nouvelle série de suspensions soulève des questions fondamentales sur la liberté d'expression et le droit à l'information dans le pays, ainsi que sur l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique. Alors que le Burkina Faso continue de lutter contre les violences jihadistes qui ont fait des milliers de victimes et de déplacés internes depuis 2015, il est crucial de préserver un espace médiatique libre et pluraliste pour garantir la transparence et la responsabilité dans la gestion des affaires publiques.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon