Le tribunal de grande instance (TGI) de Ouaga 1, théâtre de nombreux débats judiciaires, a vu se rejouer, ce mardi 20 août, un épisode de l'affaire opposant Adama Siguiré, écrivain et fervent soutien du régime de Transition, au bimensuel d’investigation L’Événement. Ce procès, à la croisée du journalisme, de la politique et du droit, met en lumière les tensions sous-jacentes qui agitent la scène publique burkinabè, alors que le pays traverse une période de transition politique incertaine. Accusé de diffamation et d’injures publiques à l’encontre du journal, Adama Siguiré voit son sort suspendu aux décisions d’une justice qui peine à avancer au rythme des attentes populaires, entre vacances judiciaires et autres considérations procédurales.
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Le contexte : un climat de défiance et de suspicion
L'affaire prend racine dans un contexte politique particulièrement sensible au Burkina Faso. Le régime de Transition, confronté à des défis sécuritaires et économiques majeurs, fait l’objet de critiques acerbes de la part de plusieurs médias et organisations de la société civile. Le journal L’Événement, reconnu pour son ton incisif et ses enquêtes fouillées, s’est imposé comme l’un des porte-voix de cette contestation. Face à cela, Adama Siguiré, écrivain prolifique et soutien assumé du régime, n’a pas hésité à monter au créneau pour défendre ce qu’il considère comme un projet politique essentiel pour la survie de la nation.
C’est dans ce cadre qu’il a accusé L’Événement de mener une campagne de désinformation visant à faire échouer la Transition. Des propos qui, selon le journal, constituent une attaque directe contre son intégrité professionnelle, d’où les accusations de diffamation et d’injures publiques portées contre Siguiré.
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Un procès sous le signe des vacances judiciaires
Lors de l’audience du 20 août, le tribunal a décidé de renvoyer l’examen du dossier au 27 août, invoquant les vacances judiciaires en cours. Une décision qui a provoqué la frustration de nombreuses parties présentes, bien que l’explication fournie par Me Adama Kondombo, avocat de la défense, soit claire. Il a expliqué que les dossiers de citation directe, comme celui de son client, sont jugés en même temps que les dossiers de flagrant délit durant cette période, mais que la priorité est donnée aux prévenus détenus, en raison de leur nombre élevé.
Toutefois, Me Kondombo a exprimé des réserves quant à la possibilité que le dossier soit effectivement jugé à la date du 27 août, suggérant que le 27 septembre aurait été une date plus judicieuse pour assurer une audience équitable. Cette incertitude alimente la nervosité autour d’une affaire déjà très médiatisée, où chaque report est interprété comme un jeu de stratégie judiciaire plutôt qu’une simple question de calendrier.
Un dossier complexe marqué par une précédente condamnation
L’écrivain Adama Siguiré n’en est pas à sa première confrontation avec la justice. Il a déjà été condamné en première instance à 12 mois de prison avec sursis et à une amende de 500 000 FCFA, suite à une plainte déposée par la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B). Cette condamnation, bien que non définitive en raison de l’appel interjeté, plane sur le procès en cours comme une ombre pesante. Me Kondombo, cherchant à minimiser l’impact de cette condamnation sur l’actuel procès, a rappelé que l’appel suspend l’exécution de la peine, laissant ainsi son client dans une position juridique incertaine mais non désespérée.
Cependant, cette précédente affaire souligne la propension de Siguiré à s’impliquer dans des débats publics controversés, ce qui renforce l’impression que l’écrivain utilise sa plume non seulement comme un outil de création littéraire, mais aussi comme une arme dans le champ politique.
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Le droit contre la politique : une frontière floue
Interrogé sur les implications politiques de l’affaire, Me Pierre Désiré Bado, l’un des Conseils du journal L’Événement, a répondu avec une distance professionnelle admirable. « Moi, je ne rentre pas dans ces appréciations. Je suis là pour faire du droit », a-t-il déclaré, balayant d’un revers de main toute tentative de politisation du procès. Ce pragmatisme, qui vise à recentrer le débat sur le plan juridique, est toutefois difficile à maintenir dans un contexte où chaque mot, chaque geste est interprété à l’aune des rivalités politiques.
L’affaire Siguiré contre L’Événement n’est pas simplement un cas de diffamation, c’est aussi un microcosme des luttes d’influence qui se jouent dans le Burkina Faso de la Transition. Les accusations portées par Siguiré touchent au cœur de la mission du journalisme : informer de manière indépendante et critique. Mais pour les soutiens du régime, ces critiques sont perçues comme des tentatives délibérées de sabotage, justifiant des actions en justice pour protéger ce qu’ils considèrent être l’intérêt national.
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Les perspectives : un procès à haut risque
Alors que la date du 27 août approche, les regards sont tournés vers le tribunal de grande instance de Ouaga 1. L’issue de ce procès pourrait avoir des répercussions bien au-delà des protagonistes impliqués. Une condamnation de Siguiré pourrait être interprétée comme une victoire de la liberté de la presse et du droit à la critique, renforçant la position des médias comme contre-pouvoir dans un contexte de Transition souvent marqué par des tensions avec le gouvernement. À l’inverse, une décision favorable à Siguiré pourrait conforter les partisans du régime dans leur conviction que la critique de la Transition équivaut à une trahison, légitimant ainsi une certaine forme de censure.
Dans tous les cas, ce procès rappelle que le Burkina Faso traverse une période charnière où les frontières entre le droit, la politique et la liberté d’expression sont constamment redéfinies. La justice burkinabè, en charge de trancher ce litige, est ainsi placée devant une lourde responsabilité : celle de maintenir l’équilibre délicat entre la protection des droits individuels et la préservation de l’ordre public dans un contexte de transition. Une tâche d’autant plus complexe que les enjeux ne sont pas seulement juridiques, mais aussi profondément politiques.
Conclusion
L’affaire opposant Adama Siguiré au journal L’Événement illustre les tensions qui traversent le Burkina Faso en cette période de Transition. Ce procès, bien plus qu’un simple conflit entre un écrivain et un journal, cristallise les défis auxquels le pays est confronté : la défense de la liberté d’expression, la nécessité de préserver l’intégrité des institutions, et l’urgence de restaurer la confiance entre les citoyens et ceux qui les gouvernent. Tandis que le tribunal se prépare à rendre son verdict, le Burkina Faso retient son souffle, conscient que l’issue de ce procès pourrait bien tracer les contours de la liberté d’expression et du journalisme dans les années à venir.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon