L’Afrique, continent de contrastes et de couleurs, a vu naître une multitude de mouvements culturels qui, par leur singularité, ont traversé les frontières pour influencer le monde. Parmi ces mouvements, celui des sapeurs congolais, membres de la célèbre Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE), se distingue par son exubérance vestimentaire et son élégance raffinée. C’est ce monde, à la fois flamboyant et mystérieux, que Baudouin Mouanda, surnommé aujourd’hui « Photouin », a su capturer à travers son objectif, inscrivant son nom parmi les plus grands photographes africains contemporains.
Les premiers pas d’un artiste en devenir
Né au Congo au début des années 1980, Baudouin Mouanda grandit dans un environnement où l’art de la photographie lui est tout d’abord étranger. Son premier contact avec un appareil photo se fait à travers le Zenit 11 de son père, un modèle soviétique aussi robuste que rudimentaire. À cette époque, le jeune Baudouin ne songe guère à immortaliser des scènes de vie ; il préfère démonter l’appareil pour en extraire les lentilles, qu’il utilise à des fins bien plus ludiques, comme enflammer des feuilles de papier. Pourtant, le destin semble déjà vouloir l’attirer vers la photographie.
En 1994, alors qu’il n’a que douze ans, son père lui fait une promesse : l’appareil photo sera à lui s’il réussit son examen d’entrée au collège. Le défi est relevé avec brio par le jeune garçon, qui se voit remettre ce qui deviendra son premier outil de création. Toutefois, apprendre à maîtriser les subtilités techniques de la photographie, comme la vitesse d’obturation ou l’ouverture du diaphragme, s’avère plus complexe que prévu. Après plusieurs essais infructueux, Baudouin Mouanda abandonne temporairement son appareil, le rangeant au fond d’un sac où il restera longtemps.
L’éveil à l’art photographique
Le tournant décisif dans la vie de Mouanda survient lorsqu’il découvre le travail du célèbre photographe français Henri Cartier-Bresson dans une encyclopédie. Fasciné par la capacité de ce dernier à capturer des moments décisifs, Mouanda décide de s’essayer à nouveau à la photographie, mais cette fois-ci avec une approche plus méthodique. Il apprend sur le tas, photographiant tout ce qui attire son regard, et ne tarde pas à se faire remarquer par ses pairs. Très vite, il devient le photographe attitré de son école, un titre modeste mais révélateur de son talent naissant.
L’étape suivante de sa formation se déroule sous l’égide de figures établies telles que David Damoison, Héctor Mediavilla et Hélina Morella, lors d’un stage qui sera déterminant pour la suite de sa carrière. En 2003, il expose pour la première fois une série intitulée Mémoire et fragments, marquant le début officiel de son parcours en tant que photographe professionnel. Ce lancement est couronné par plusieurs distinctions, notamment un prix à l’Académie des Beaux-Arts et une récompense lors des Ve Jeux de la francophonie à Niamey. Fort de ces succès, Baudouin Mouanda commence à publier des reportages dans des revues telles que Planète jeunes et Planète enfants, avant de s’associer à la création du collectif Elili et de se faire un nom sur la scène internationale.
La rencontre avec la SAPE : Une révélation artistique
C’est en 2008 que Baudouin Mouanda accède véritablement à la reconnaissance mondiale avec sa série intitulée Sapologie. En photographiant les sapeurs congolais, ces dandys africains célèbres pour leur élégance extravagante, Mouanda révèle au monde un aspect méconnu de l’Afrique : celui de la beauté, de la joie de vivre et de la créativité, loin des clichés de pauvreté et de conflit souvent associés au continent. Cette série devient une sorte de carte de visite pour Mouanda, ouvrant les portes des galeries et des musées à travers le monde, notamment le musée Dapper à Paris, où elle est exposée pour la première fois.
Les sapeurs, membres de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes, sont bien plus que de simples adeptes de la mode. Pour Baudouin Mouanda, ils incarnent une forme de résistance culturelle, une manière de s’approprier les codes vestimentaires occidentaux tout en affirmant une identité africaine forte. Comme il le souligne lui-même, « les Occidentaux ont créé le vêtement, mais l’habillement a été inventé à Brazzaville ». Cette citation, devenue célèbre, résume parfaitement l’essence du mouvement SAPE : un mélange de défiance et de fierté, où l’élégance devient une arme symbolique contre l’adversité.
Une approche authentique de la photographie
Ce qui distingue le travail de Baudouin Mouanda de celui d’autres photographes ayant immortalisé les sapeurs, c’est sa volonté de capturer la réalité quotidienne derrière l’apparence. Alors que certains se contentent de montrer le côté flamboyant de la SAPE, Mouanda s’attache à révéler la complexité de ces personnages. Il photographie les sapeurs là où ils vivent, dans leur environnement naturel, sans artifice ni mise en scène. Cette approche authentique permet de comprendre que, derrière les vêtements de luxe et les postures élégantes, se cachent souvent des histoires de lutte et de résilience.
La série Sapologie n’est donc pas seulement une ode à l’élégance ; elle est aussi un témoignage poignant des réalités sociales et économiques du Congo. Les sapeurs, souvent issus de milieux modestes, utilisent la mode comme un moyen d’affirmation de soi et de revendication sociale. En les photographiant dans leur quotidien, Baudouin Mouanda montre que la SAPE est bien plus qu’un simple phénomène de mode : c’est un véritable mouvement culturel, avec ses propres codes, ses propres rituels et une histoire riche qui s’inscrit dans la grande tradition des dandys africains.
Une carrière au service de la réalité congolaise
Lauréat du prestigieux prix Roger-Pic en 2022, Baudouin Mouanda a su diversifier son œuvre tout en restant profondément attaché à son pays d’origine. Ses autres séries photographiques, telles que Sur le trottoir du savoir (sur le manque d’électricité), Ciel de saisons (sur le dérèglement climatique), Séquelles de la guerre (sur les conflits au Congo) et, plus récemment, Aux inondés du fleuve Congo (publiée en juin 2024), témoignent de son engagement à documenter les réalités de son pays. Chaque photo, chaque série, est un acte de mémoire, une manière de raconter l’histoire du Congo à travers le prisme de l’art.
Mouanda ne se contente pas de capturer des images ; il cherche à créer un impact durable. Cet engagement se manifeste également dans ses actions locales, notamment à travers la création du Centre de la photographie ClassPro-culture à Madibou, un quartier de Brazzaville. Ce centre pluridisciplinaire, dédié à la formation et à la promotion des jeunes talents, est une extension naturelle de son travail artistique. « C’est aussi grâce à cette série sur la Sape que j’ai pu créer le Centre de la photographie ClassPro-culture », confie-t-il, soulignant ainsi l’importance de la SAPE non seulement dans sa carrière, mais aussi dans son engagement social.
Conclusion : Baudouin Mouanda, gardien de la mémoire visuelle africaine
Aujourd’hui, Baudouin Mouanda est reconnu comme l’un des grands maîtres de la photographie africaine contemporaine. À travers son objectif, il a su capturer l’âme du Congo, révélant au monde les multiples facettes d’une société complexe et résiliente. Ses photos ne sont jamais neutres ; elles portent toujours un message, une réflexion sur le monde qui l’entoure. Qu’il s’agisse de la flamboyance des sapeurs ou de la dure réalité des inondations, Mouanda parvient à créer des images qui touchent et interpellent, des images qui resteront dans les mémoires.
En immortalisant les sapeurs congolais, Baudouin Mouanda n’a pas seulement documenté un phénomène culturel ; il a donné à voir une Afrique fière, créative et profondément humaine. Une Afrique qui, à travers la SAPE, continue de défier les stéréotypes et de réinventer ses propres codes esthétiques. Son travail, empreint de respect et d’authenticité, restera à jamais un témoignage vibrant de la vitalité et de l’ingéniosité des peuples africains.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnnon