Au Burkina Faso, pays riche en ressources naturelles, le secteur extractif représente une part significative de l’économie nationale. Cependant, ce secteur est également le théâtre de pratiques illicites qui érodent les ressources de l'État, compromettent son développement économique et alimentent des réseaux criminels. L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives au Burkina Faso (ITIE) a récemment publié un rapport accablant sur les flux financiers illicites (FFI) dans ce secteur stratégique, couvrant la période 2012-2021. Ce document met en lumière l’ampleur des infractions et leurs conséquences désastreuses pour l’économie burkinabè.
Une fuite massive de capitaux
Les flux financiers illicites, par nature invisibles aux yeux des autorités fiscales et réglementaires, constituent une véritable hémorragie pour l’économie burkinabè. Selon le rapport de l’ITIE, entre 2012 et 2021, le Burkina Faso a perdu environ 119,457 milliards de francs CFA en raison d’infractions diverses liées au secteur extractif. Ces chiffres, à eux seuls, soulignent l’urgence de s’attaquer à ce phénomène qui prive l’État de ressources vitales pour son développement et affaiblit sa capacité à répondre aux besoins de sa population.
Des pratiques frauduleuses omniprésentes
L’étude menée par l’ITIE, en mai 2023, met en lumière une série de pratiques frauduleuses dans la commercialisation des matières précieuses telles que l’or, l’argent, le zinc, le manganèse et la dolomite. Parmi les infractions les plus courantes figurent le vol de métaux précieux, le blanchiment de capitaux en bande organisée, ainsi que les fausses déclarations de dépenses effectuées par les sociétés de recherche et d’exploitation minière.
Ces pratiques sont particulièrement préoccupantes car elles sapent la transparence et l’intégrité du secteur extractif. Par exemple, le rapport souligne que certaines sociétés exploitant des mines d’or gonflent artificiellement leurs dépenses en phase de recherche, afin de réduire leurs bénéfices déclarés une fois en phase d’exploitation. Ce subterfuge leur permet de payer moins d’impôts, privant ainsi l’État de revenus considérables.
Le Sud-Ouest : une région sous la coupe des réseaux illicites
La région du Sud-Ouest du Burkina Faso émerge comme le principal foyer d’activité de ces réseaux criminels. C’est là que la majorité des réseaux impliqués dans les flux financiers illicites ont été démantelés, et où les enquêtes sur les activités extractives illicites se concentrent. Cette région, riche en ressources minières, est devenue un terrain fertile pour des activités illégales qui échappent aux contrôles des autorités.
L’ITIE relève également que la vente d’or entre individus, en dehors des circuits légaux, est une pratique courante dans cette région. Profitant de la porosité des frontières, ces trafiquants parviennent à écouler l’or à l’international, contournant ainsi les dispositifs de régulation et de taxation en vigueur au Burkina Faso. Cette situation crée un marché parallèle qui échappe totalement aux autorités fiscales et douanières, entraînant une perte sèche pour l’État.
Le financement du terrorisme et les risques sécuritaires
L’un des aspects les plus alarmants du rapport de l’ITIE est la connexion entre les flux financiers illicites et le financement du terrorisme. Le rapport révèle que certains acheteurs d’or clandestins, souvent placés sous le contrôle de groupes terroristes, opèrent sur des sites d’orpaillage artisanaux. Ces groupes, qui ont fait du Burkina Faso une de leurs cibles principales, utilisent les revenus générés par ces activités pour financer leurs opérations, exacerbant ainsi l’insécurité dans le pays.
Cette collusion entre exploitation minière illégale et activités terroristes représente un défi de taille pour les autorités burkinabè. En plus de priver l’État de ressources, elle renforce les capacités financières des groupes armés, prolongeant ainsi le cycle de violence et d’instabilité qui sévit dans le pays.
Des failles dans la réglementation et le contrôle
Le rapport de l’ITIE met également en évidence les failles dans la réglementation et le contrôle du secteur extractif au Burkina Faso. Parmi les pratiques recensées, on note le non-respect des réglementations financières dans les transactions avec l’extérieur, la revente de produits prohibés aux exploitants artisanaux, ainsi que la commercialisation de l’or sans autorisation.
Ces failles permettent à des individus et à des entreprises de contourner les lois et de se livrer à des pratiques frauduleuses en toute impunité. L’ITIE souligne que les « comptoirs » clandestins, lieux où se négocient les transactions illégales, sont un maillon crucial dans cette chaîne de flux financiers illicites. Ces comptoirs échappent à toute régulation et contribuent à l’opacité du secteur, rendant difficile toute tentative de contrôle et de répression des activités illicites.
Une situation qui interpelle la justice
Entre 2018 et 2022, les infractions relatives à la fraude dans la commercialisation de l’or, à l’escroquerie et au blanchiment de capitaux ont fait l’objet de plusieurs procès. Cependant, la lenteur et la complexité des procédures judiciaires, combinées à la capacité d’influence des réseaux criminels, rendent difficile la poursuite et la condamnation des responsables.
La faiblesse des sanctions et l’insuffisance des moyens alloués aux autorités de contrôle et de régulation exacerbent le problème, laissant le champ libre à des pratiques qui grèvent lourdement les finances publiques. Le rapport de l’ITIE appelle donc à une refonte en profondeur des mécanismes de surveillance et à un renforcement des capacités des institutions judiciaires et policières.
Conclusion : Une bataille cruciale pour l’avenir du Burkina Faso
Le rapport de l’ITIE sur les flux financiers illicites dans le secteur extractif burkinabè est un cri d’alarme. Il révèle l’ampleur d’un problème qui menace de saper les fondements économiques du pays et de compromettre son développement. Face à cette situation, l’État burkinabè doit agir avec détermination pour renforcer la transparence et la régulation du secteur extractif.
Cela passe par une révision des cadres législatifs et réglementaires, un renforcement des capacités des autorités de contrôle, et une lutte sans merci contre la corruption et le blanchiment de capitaux. Il est également impératif de démanteler les réseaux criminels qui tirent profit de cette situation et de s’assurer que les ressources naturelles du pays bénéficient en premier lieu au peuple burkinabè.
Le défi est immense, mais il est crucial pour l’avenir du Burkina Faso. Les flux financiers illicites ne sont pas seulement une question de chiffres : ils touchent au cœur de la souveraineté nationale, à la sécurité du pays et à la justice sociale. Le Burkina Faso ne peut se permettre de perdre cette bataille.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon