Le 22 août 2024 restera gravé dans la mémoire collective de Bobo-Dioulasso comme une journée marquée par un puissant cri du cœur de la population. En réponse à l’appel de la Coordination Nationale des Associations de Veilles Citoyennes (CNAVC), des centaines de manifestants ont déferlé dans les rues de cette ville emblématique du Burkina Faso pour dénoncer la position de l’intersyndicale des Magistrats, qui avait condamné l’envoi de certains de leurs membres au front. Derrière cette mobilisation citoyenne, un mécontentement profond face à une justice perçue comme déconnectée des réalités d’un pays en guerre.
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Une manifestation patriotique et inédite
Dès les premières lueurs du jour, les rues de Bobo-Dioulasso ont été envahies par une foule bigarrée, arborant pancartes et drapeaux nationaux, scandant des slogans en faveur du capitaine Ibrahim Traoré et de l’unité nationale. Les manifestants, composés d’hommes, de femmes, de jeunes et de moins jeunes, ont convergé vers le palais de Justice, symbole de l’institution qu’ils entendaient interpeller.
Pascal Sanou, porte-parole de la CNAVC, a donné le ton de la manifestation en affirmant : « Nous sommes ici ce matin pour dire la vérité à la justice. Ce qu’ils sont en train de faire n’est pas bien. Qu’ils mettent de l’eau dans leur vin. Nous leur demandons de suivre le capitaine Ibrahim Traoré. Ce qui se faisait avant ne passe plus maintenant. Il n’y a pas deux capitaines dans un bateau. Nous sommes avec Ibrahim Traoré jusqu’à la fin. Si ce n’est pas lui, qui va nous sortir de cette guerre ? Nous leur demandons de rendre la justice de manière honnête et d’accepter d’aller au front. »
Les mots de Sanou résonnent comme un rappel à l’ordre destiné à une institution judiciaire accusée de ne pas prendre la pleine mesure des défis auxquels le pays est confronté. Pour de nombreux manifestants, la guerre qui ravage le Burkina Faso ne se limite pas aux seules zones de conflit, mais touche chaque Burkinabè, qu’il soit soldat ou civil, magistrat ou enseignant.
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Un front social émergeant
Au-delà de la simple condamnation de l’intersyndicale des Magistrats, la manifestation de Bobo-Dioulasso a mis en lumière un malaise plus profond au sein de la société burkinabè. Monsieur Sékou Omar PATHE, le président de CNAVC Section Houet affirme que : « Cette manifestation est vraiment patriotique et pacifique pour dénoncer le comportement de certains magistrats que nous n’avons pas apprécié. Ils ont été enrôlés, mais ont refusé et ont déposé une plainte contre le gouvernement. Dans quel pays avez-vous déjà vu la justice déposer une plainte contre le gouvernement ? De plus, ils ont affirmé qu’il n’y a pas de preuve physique que le pays est en guerre. Nous demandons que tous les magistrats soient réquisitionnés pour aller voir ce qui se passe au front avant de revenir en ville. Nous ne sommes pas contents d’eux, et c’est pour cela que nous sommes ici, pour exprimer notre mécontentement à travers cette marche pacifique. »
Cette déclaration traduit un sentiment d’exaspération grandissant face à ce qui est perçu comme un manque de solidarité nationale de la part des magistrats. Pour beaucoup, la guerre contre le terrorisme ne se joue pas seulement sur le terrain militaire, mais aussi sur le front judiciaire, où les décisions doivent être prises en conscience de l’urgence et de la gravité de la situation.
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Un appel à l’action pour le Capitaine Ibrahim Traoré
Loin d’être un simple coup de semonce, la manifestation de Bobo-Dioulasso a été aussi l’occasion pour les citoyens d’interpeller directement le capitaine Ibrahim Traoré, leader de la transition, sur la nécessité de prendre des mesures fortes pour remettre de l’ordre dans le corps judiciaire. Blaise Hien, président de la Coordination de la Veille Citoyenne de l’Arrondissement 7, n’a pas mâché ses mots : « Il y a une fin de récréation à siffler au Burkina sur tous les plans : judiciaire, douanière, sécuritaire, sociale, pédagogique, universitaire, etc. Comment peut-on envisager un développement avec des mentalités ainsi négativement forgées ? Le corps des magistrats est une confrérie au Burkina. Il est urgent que le Président Ibrahim Traoré prenne son bâton de pèlerin pour mettre de l'ordre dans le corps de la justice afin d'envisager une renaissance dans ce pays. »
Pour Blaise Hien, l’enjeu est clair : il ne s’agit plus seulement de gérer une crise sécuritaire, mais de réformer en profondeur les institutions, en commençant par une justice perçue comme conservatrice et réfractaire au changement. Cet appel à une « fin de récréation » symbolise le désir d’un retour à l’ordre, d’une reprise en main des structures étatiques pour qu’elles soient au service du peuple et non l’inverse.
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La crise de confiance entre la justice et le peuple
La manifestation de Bobo-Dioulasso met également en exergue une crise de confiance profonde entre le peuple burkinabè et ses institutions judiciaires. Le refus des magistrats de partir au front, et leur recours à des arguments juridiques pour contester les décisions gouvernementales, sont perçus comme une trahison par une partie de la population. Cette fracture, si elle n’est pas rapidement résorbée, pourrait avoir des conséquences graves sur la cohésion nationale, déjà fragilisée par les conflits armés et les tensions sociales.
Pour de nombreux manifestants, le refus des magistrats de reconnaître l’état de guerre dans lequel se trouve le Burkina Faso est un affront à la réalité que vivent au quotidien des millions de Burkinabè. « Comment comprendre que des avocats Burkinabè vivant au Burkina viennent affirmer que juridiquement le pays n'est pas en guerre ? Que doivent dire les autres corps ? Médicalement, le pays n'est pas en guerre, pédagogiquement le pays n'est pas en guerre, sur le plan de l’ingénierie le pays n'est pas en guerre. Il est urgent que les choses changent », s’indigne Monsieur Bado l’un des participants, qui a exprimé son indignation face au comportement des magistrats en ces termes.
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Vers une nouvelle vision de la justice au Burkina Faso ?
La situation actuelle au Burkina Faso appelle à une réflexion profonde sur le rôle de la justice dans un contexte de crise. Peut-on continuer à appliquer des principes juridiques classiques alors que le pays est en guerre ? Quelle place pour la justice dans la lutte contre le terrorisme et dans la reconstruction nationale ? Ces questions, soulevées par les manifestants, méritent d’être posées à l’ensemble de la société burkinabè, et en premier lieu aux magistrats eux-mêmes.
Le capitaine Ibrahim Traoré, en sa qualité de chef de l’État, est désormais face à un choix crucial. Doit-il maintenir le cap d’une transition qui se veut rigoureuse mais inclusive, ou prendre des mesures plus radicales pour réformer les institutions, y compris la justice, afin de répondre aux attentes d’un peuple en quête de sécurité et de justice ?
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L'urgence d'une réconciliation nationale
La manifestation de Bobo-Dioulasso est un signal d’alarme qui ne doit pas être ignoré. Elle révèle une fracture sociale et institutionnelle qui, si elle n’est pas rapidement comblée, pourrait compromettre les efforts de pacification et de reconstruction du pays. La justice, pilier de l’État de droit, doit retrouver la confiance des citoyens en se montrant à la hauteur des défis du moment. Cela implique de repenser son rôle, non pas comme une entité détachée des réalités du pays, mais comme un acteur engagé aux côtés du peuple pour le triomphe de la paix et de la justice.
Le Burkina Faso, aujourd’hui à la croisée des chemins, a besoin d’unité et de solidarité pour surmonter les épreuves. Le capitaine Ibrahim Traoré, soutenu par une large partie de la population, incarne cet espoir de renouveau. Mais pour réussir, il devra s’appuyer sur des institutions réformées, capables de répondre aux aspirations d’un peuple déterminé à se battre pour sa survie et sa dignité. La justice, dans ce contexte, a un rôle crucial à jouer : celui de garantir l’équité et l’intégrité dans une société en quête de stabilité et de progrès.
En somme, la manifestation du 22 août 2024 n’est pas seulement un appel à l’ordre. Elle est aussi un cri d’espoir pour un Burkina Faso où la justice serait enfin au service du peuple et de la nation. Le chemin est encore long, mais avec une volonté politique forte et une mobilisation citoyenne sans faille, l’horizon d’une paix durable et d’un développement harmonieux reste à portée de main.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon