Le spectre du terrorisme continue de planer sur le Sahel, exacerbant les tensions géopolitiques et redéfinissant les alliances internationales. Dernière en date à alimenter les préoccupations des États sahéliens : l’Ukraine. Une crise d’une ampleur inédite est en train de se jouer sur la scène diplomatique, alors que le Burkina Faso, aux côtés de ses voisins le Mali et le Niger, accuse formellement Kiev de soutenir des groupes terroristes opérant dans la région.

Lors de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Karamoko Jean-Marie Traoré, a pris la parole pour exprimer les inquiétudes profondes de son pays face à ce qu’il qualifie de "soutien ukrainien au terrorisme international". Cette déclaration, à la fois grave et surprenante, marque un tournant dans les relations déjà fragiles entre l’Ukraine et les pays sahéliens en proie à une insécurité chronique depuis plusieurs années.
Un soutien ukrainien ouvertement revendiqué
Les accusations portées par le Burkina Faso ne sont pas nouvelles, mais elles prennent aujourd’hui une dimension internationale. Selon Karamoko Jean-Marie Traoré, Kiev aurait directement avoué son soutien à des groupes terroristes actifs dans le Sahel, un soutien qui se serait matérialisé par une implication dans des attaques contre les forces armées maliennes. Ces événements, survenus fin juillet à Tinzaouatène, une localité située dans la région de Kidal, au Mali, ont coûté la vie à de nombreux soldats maliens.
L’implication de l’Ukraine dans ces attaques a été rendue publique début août par Andrii Yusov, représentant de la Direction principale du renseignement ukrainien, dans une déclaration qui a fait l’effet d’une onde de choc. Pour les gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger, ces révélations sont la preuve d’un complot international visant à déstabiliser davantage la région du Sahel, déjà en proie à des conflits armés, des attaques djihadistes répétées et une crise humanitaire majeure.
Une lettre conjointe au Conseil de sécurité de l’ONU
Face à la gravité de la situation, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont pris une initiative sans précédent en adressant une lettre conjointe au président du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette missive, dans laquelle ils dénoncent formellement les "actes d’agression" de Kiev, appelle la communauté internationale à prendre des mesures contre l'Ukraine pour violation flagrante de la Charte des Nations Unies. Selon les trois États sahéliens, les actions de l’Ukraine constituent une violation des principes de non-ingérence et de respect de la souveraineté nationale.
Karamoko Jean-Marie Traoré, dans son discours à l'ONU, a mis en avant le caractère particulièrement alarmant de la situation : « En affirmant sans équivoque son implication dans les attaques terroristes qui ont causé la mort d'éléments des forces maliennes à Tinzaouatène au Mali et en avouant son soutien au terrorisme international, ce pays [l'Ukraine] a donné un aperçu de ses activités subversives au Sahel. » Pour le chef de la diplomatie burkinabè, ces faits, qu'il qualifie de "particulièrement graves", nécessitent une réponse ferme de la part de la communauté internationale.
Une crise sécuritaire au Sahel exacerbée par les ingérences étrangères
La région du Sahel est depuis plus d’une décennie le théâtre d'une guerre sans merci entre forces nationales, groupes djihadistes et milices armées. Malgré les efforts conjugués des gouvernements locaux, de la communauté internationale et de la mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), la situation reste désespérément instable, avec des milliers de victimes civiles et militaires, des déplacements massifs de populations, et une montée en puissance des violences intercommunautaires.
Dans ce contexte, l’implication de puissances extérieures dans les conflits locaux n’est pas nouvelle, mais l’implication présumée de l’Ukraine, pays lui-même en guerre contre la Russie, ajoute une dimension complexe et inattendue à la situation. Les États du Sahel, confrontés à une multiplicité de menaces, se sentent abandonnés par une communauté internationale jugée inefficace, et perçoivent cette ingérence ukrainienne comme une menace directe à leur souveraineté.
Les attaques de Tinzaouatène, menées par des groupes armés djihadistes, ont laissé un traumatisme profond dans les rangs des forces armées maliennes. Ces dernières, déjà affaiblies par des années de combat contre des factions rebelles et terroristes, sont désormais confrontées à des alliances internationales troubles qui compliquent davantage une situation déjà désespérément fragile. L’implication de l’Ukraine, revendiquée par un haut responsable de son renseignement, apparaît comme un signal alarmant de la complexité géopolitique qui entoure le Sahel.
Des conséquences diplomatiques immédiates
En réponse à ces événements, les gouvernements du Mali et du Niger ont rapidement rompu leurs relations diplomatiques avec l’Ukraine, une décision radicale qui illustre la gravité de la situation. Pour le Burkina Faso, qui a suivi de près cette évolution, la rupture officielle des relations avec Kiev n’est qu’une question de temps, à moins que la communauté internationale n’intervienne rapidement pour clarifier la situation.
Les trois pays sahéliens espèrent une réaction rapide du Conseil de sécurité de l'ONU, où ils ont adressé leur lettre conjointe. Pour eux, il est impératif que l’Ukraine soit tenue responsable de ses actes, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. Karamoko Jean-Marie Traoré a d'ailleurs insisté sur ce point dans son discours : "Ces faits particulièrement graves violent la Charte des Nations Unies", rappelant ainsi l'importance du respect des engagements internationaux et du droit à la sécurité des États souverains.
Cependant, la réponse de la communauté internationale reste encore incertaine. La guerre en Ukraine mobilise une grande partie des efforts diplomatiques et militaires des grandes puissances, et la situation au Sahel, bien que tragique, pourrait être reléguée au second plan. Cela n'enlève rien à la détermination des pays sahéliens de continuer à défendre leur souveraineté et à dénoncer toute ingérence extérieure dans leurs affaires internes.
La position ambiguë de l’Ukraine
Le rôle de l’Ukraine dans cette crise soulève de nombreuses questions. Comment un pays en guerre contre une puissance majeure comme la Russie peut-il se permettre d'intervenir dans un conflit aussi éloigné que celui du Sahel ? Quelles sont les motivations réelles derrière ce soutien présumé aux groupes terroristes ? S’agit-il d’une stratégie géopolitique visant à affaiblir des États alliés de la Russie, ou d’une tentative désespérée de gagner des soutiens internationaux en se positionnant dans d’autres conflits mondiaux ?
Quoi qu'il en soit, cette crise marque un nouveau tournant dans les relations internationales du Sahel et met en lumière la complexité croissante des conflits contemporains, où les lignes de front ne sont plus seulement locales, mais s’étendent à l’échelle mondiale. Les gouvernements du Sahel, confrontés à une insécurité chronique et à des alliances douteuses, sont plus que jamais déterminés à défendre leur souveraineté et à obtenir justice sur la scène internationale.
L’avenir incertain du Sahel
Alors que les États du Sahel continuent de lutter contre le terrorisme, les tensions diplomatiques avec des puissances extérieures comme l'Ukraine risquent de compliquer encore davantage la recherche de solutions durables. La réaction du Conseil de sécurité de l’ONU à cette crise sera cruciale pour déterminer l'avenir des relations entre le Sahel et la communauté internationale.
En attendant, le Burkina Faso, le Mali et le Niger poursuivent leur lutte acharnée contre les forces djihadistes, tout en réclamant des réponses et des actions concrètes face à ce qu'ils considèrent comme une ingérence inacceptable dans leurs affaires internes. La sécurité, la paix et la stabilité du Sahel dépendent désormais de l’issue de cette nouvelle crise géopolitique.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon