Le Front Populaire Ivoirien (FPI), autrefois pilier du pouvoir en Côte d’Ivoire et aujourd’hui sous la houlette de l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, semble amorcer un tournant décisif dans la sphère politique ivoirienne. Lors de son Comité central ordinaire tenu le samedi 7 septembre 2024 à Abidjan-Cocody, la question brûlante de l’heure était au cœur des échanges : comment le FPI doit-il réagir à l’appel de Laurent Gbagbo, ancien président et figure tutélaire du combat politique en Côte d'Ivoire, qui a tendu la main à l'opposition pour unifier les forces contre le pouvoir en place, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP).
Ce Comité central, dont le thème était « Analyse de la situation politique nationale », a donné lieu à de nombreuses prises de parole et délibérations. Au centre des débats : la stratégie du FPI face à l’appel de Bonoua, un geste fort de réconciliation lancé par Laurent Gbagbo lors d’un meeting historique du Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) le 14 juillet 2024.
Affi N’Guessan : Un appel inédit à saisir
Pascal Affi N’Guessan, fidèle à son rôle de chef de file du FPI, a exprimé au cours de ce Comité central sa satisfaction quant à l’initiative prise par Laurent Gbagbo, qu'il qualifie de geste inédit. Cette ouverture marquerait, selon lui, un tournant important dans les relations souvent tendues entre le FPI et le PPA-CI, deux formations issues d’une même matrice mais désormais séparées par des divergences historiques. L’ancien Premier ministre a salué ce geste de Laurent Gbagbo comme étant le signe d’une prise de conscience et d’une volonté de convergence des forces de l’opposition, longtemps divisées.
« Il faut se féliciter de l’appel de Bonoua parce que c’est nouveau que Gbagbo tende la main, qu’il ouvre les bras », a déclaré Pascal Affi N’Guessan, s’attirant de vifs applaudissements de la part des membres présents. Pour lui, cette proposition marque une « victoire politique », tant sur le plan symbolique que stratégique. « Quelqu’un qui nous a traités de pestiférés, d’enveloppe vide, de cailloux à contourner, et qui revient vers nous… Est-ce que ce n’est pas une victoire ? », a-t-il martelé.
Cette réconciliation apparente entre les deux partis peut être interprétée comme une opportunité de réunir les forces politiques ivoiriennes d’opposition dans une coalition unifiée, unissant le FPI et le PPA-CI pour espérer renverser l’actuel président Alassane Ouattara lors de la prochaine élection présidentielle prévue en 2025. Toutefois, Affi a rappelé la nécessité de rester prudent, soulignant les risques d’un tel rapprochement, notamment en termes de divergences stratégiques.
Une victoire symbolique pour le FPI
Pour Pascal Affi N’Guessan, l’appel de Laurent Gbagbo n’est pas seulement un geste politique, c’est aussi la reconnaissance implicite de la résilience du FPI, un parti longtemps qualifié de moribond par ses détracteurs. Le FPI, après la chute de Laurent Gbagbo en 2011, a connu de profondes dissensions internes, notamment avec la création du PPA-CI en 2021 par Gbagbo lui-même après son retour triomphal de la Cour pénale internationale.
Le fait que Sébastien Dano Djédjé, un cadre influent du PPA-CI, ait été envoyé pour porter formellement ce message de réconciliation au FPI, est perçu par Affi N’Guessan comme une confirmation de l’importance de son parti sur l’échiquier politique. Cet appel, pour le président du FPI, « apaise nos rapports avec les gens du PPA-CI », affirmant ainsi que les anciennes rancœurs pourraient bientôt être reléguées au passé.
Les risques d’une unité de l’opposition : Une mise en garde de Affi N’Guessan
Malgré l’enthousiasme qu’a suscité cet appel chez certains, Pascal Affi N’Guessan a insisté sur la prudence nécessaire face à cette offre. « L’appel-là, c’est aussi un risque », a-t-il averti, tout en précisant que le FPI devait se garder de « s’aligner sur des programmes qui ne sont pas les siens ». En d’autres termes, bien que l’unité de l’opposition soit un objectif louable, elle ne doit pas se faire au détriment des convictions et des orientations propres au FPI.
La prudence invoquée par Affi N’Guessan s’explique notamment par la cacophonie actuelle qui règne au sein de l’opposition ivoirienne. Laurent Gbagbo et Simone Gbagbo, son ancienne compagne et ancienne Première Dame, suivent aujourd’hui des trajectoires politiques distinctes, chacun revendiquant une légitimité à représenter une partie de l’opposition ivoirienne. Cette fragmentation complique toute tentative de coalition durable, et Pascal Affi N’Guessan, en tant que stratège avisé, est conscient des obstacles qui pourraient se dresser sur le chemin d’une véritable union des forces.
Des absences remarquées et des divergences internes
La réunion du Comité central du FPI a également été marquée par l’absence de plusieurs figures importantes du parti. Parmi celles-ci, le secrétaire général et porte-parole du FPI, Issiaka Sangaré, ainsi que certains vice-présidents tels que Pierre Dagbo Godé et Diabaté Beh, tous connus pour leur opposition farouche à toute alliance avec le PPA-CI. Leur absence significative à cette réunion traduit les tensions internes qui agitent encore le FPI et les divergences sur la manière de répondre à l’appel de Laurent Gbagbo.
Ces absences reflètent également une fracture au sein du parti entre ceux qui voient dans cette réconciliation une opportunité politique et ceux qui redoutent une perte d’autonomie et un risque d’être submergés par la figure emblématique de Laurent Gbagbo. En effet, pour certains cadres du FPI, répondre favorablement à cet appel pourrait signifier l’effacement progressif de leur formation politique au profit du PPA-CI, et donc, une fusion qui ne servirait qu’à renforcer l’hégémonie de Gbagbo.
Les perspectives pour 2025 : Quelle stratégie pour le FPI ?
Alors que l’élection présidentielle de 2025 approche à grands pas, la question demeure : comment le FPI, sous la conduite d’Affi N’Guessan, compte-t-il capitaliser sur cet appel pour consolider sa place sur l’échiquier politique ivoirien ? Si l’unité de l’opposition peut apparaître comme une voie vers le succès, elle nécessite des clarifications profondes et un réalignement stratégique.
L’enjeu pour le FPI est double : d’une part, renforcer son assise en tant que parti politique indépendant tout en saisissant cette opportunité de rapprochement avec Gbagbo, et d’autre part, éviter de se dissoudre dans une alliance qui pourrait à terme miner ses prétentions électorales. Il s’agira donc de trouver un équilibre entre collaboration et affirmation politique, un défi de taille dans le contexte d’une opposition encore fragmentée et d’un pouvoir toujours solidement ancré dans les structures de l’État.
Conclusion
L’appel de Bonoua lancé par Laurent Gbagbo ouvre une nouvelle ère pour l’opposition ivoirienne. Pour le Front Populaire Ivoirien et son leader Pascal Affi N’Guessan, cette opportunité de réconciliation pourrait s’avérer être un tournant stratégique, à condition que les risques inhérents à ce rapprochement soient minutieusement calculés. À l’aube de 2025, la question de l’unité ou de la division de l’opposition sera déterminante pour l’avenir politique de la Côte d’Ivoire. Une chose est certaine, les mois à venir promettent de reconfigurer le paysage politique ivoirien, avec en toile de fond les ambitions renouvelées d’un parti résolument tourné vers l’avenir.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon