Les relations entre le Mali et l’Algérie continuent de se détériorer dans un climat déjà empreint d’instabilité régionale et de tensions sécuritaires. Alors que le Sahel reste un terrain d’affrontement majeur contre les groupes terroristes, deux des plus grands acteurs de cette lutte, le Mali et l'Algérie, s'enlisent dans un conflit diplomatique de plus en plus public, dont les répercussions pourraient affecter toute la région. Le dernier épisode de cette guerre verbale s'est déroulé sur la scène internationale la plus visible : la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York, où les représentants des deux pays se sont affrontés dans une série d'accusations mutuelles.
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Une escalade diplomatique sur fond de lutte contre le terrorisme
Le 28 septembre 2024, alors que la communauté internationale était rassemblée à New York pour aborder les grands défis de la planète, le différend entre le Mali et l’Algérie a pris une nouvelle tournure. Le ministre malien de l'Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, connu pour son ton direct et sa verve sans fard, a accusé ouvertement l'Algérie d’abriter et de soutenir des terroristes. Ces déclarations surviennent en réponse aux critiques formulées par l'Algérie, notamment sur l’utilisation de drones maliens qui auraient causé la mort de civils lors de la bataille de Tinzaouatène en juillet 2024.
« Les groupes terroristes ont été sérieusement affaiblis », a martelé le colonel Maïga, tout en dénonçant avec virulence ce qu’il appelle l'attitude ambiguë de l'Algérie. Selon lui, des diplomates algériens jouent un rôle actif dans la protection et le soutien des groupes terroristes opérant au Sahel. « Certains énergumènes abritent des criminels tout en sirotant de la chorba », a-t-il lancé dans une attaque rhétorique qui a fait le tour des chancelleries.
Au-delà de la charge émotionnelle de ses propos, cette déclaration révèle une cassure profonde entre les deux nations sur la question de la sécurité au Sahel. Le Mali, plongé dans une guerre sans fin contre les groupes djihadistes depuis plus d'une décennie, est sur la défensive et semble de plus en plus isolé dans sa stratégie militaire. L'Algérie, de son côté, en tant que puissance régionale, est critiquée pour son rôle supposé de médiateur qui, selon Bamako, cacherait une collaboration avec des acteurs déstabilisateurs.
L’accord d’Alger : une paix avortée ?
L’une des causes profondes de cette animosité entre le Mali et l’Algérie réside dans l’échec de l’Accord d'Alger. Signé en 2015 après des mois de négociations laborieuses, cet accord visait à rétablir la paix entre le gouvernement malien et les groupes armés du nord du Mali, majoritairement touaregs. Or, selon le colonel Maïga, cet accord a vécu ses derniers instants en janvier 2024, après des années d’une existence qualifiée de « comateuse ».
L’Accord d’Alger avait pourtant soulevé des espoirs dans un pays meurtri par une série de rébellions séparatistes et l’expansion du terrorisme. Par l’intermédiaire de cet accord, l’Algérie s’était érigée en médiateur principal, cherchant à stabiliser le nord du Mali et à intégrer les groupes armés dans une dynamique politique pacifique. Mais pour Bamako, l'Algérie a échoué non seulement à garantir le respect des termes de l’accord, mais a aussi contribué à l’instabilité par un soutien ambigu à certains groupes armés. L’échec de cet accord est, aux yeux de nombreux responsables maliens, une des raisons majeures de la prolongation du conflit.
Le colonel Maïga, dans son discours, n'a pas mâché ses mots : « L’Algérie a tiré et enterré l’accord d’Alger », accusant ainsi le voisin du Nord d’avoir sciemment contribué à l'implosion de ce processus de paix. Derrière ces mots se cache un profond ressentiment contre un pays qui, malgré ses déclarations d’intention, est perçu comme un acteur trouble dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Une guerre des mots, mais surtout une guerre de positionnement régional
Les tensions entre le Mali et l'Algérie ne sont pas uniquement une querelle diplomatique entre deux États voisins ; elles révèlent une lutte plus large pour le leadership régional. L'Algérie, de par sa position géographique et son influence historique, cherche à conserver son rôle de médiateur et de stabilisateur au Sahel. Le Mali, quant à lui, cherche à se repositionner comme un acteur indépendant, capable de définir seul sa stratégie de défense et de sécurité.
Les accusations portées par le Mali contre l'Algérie, notamment sur le soutien présumé aux groupes terroristes, sont une manière de contester cette prétention algérienne au leadership régional. Le colonel Maïga a exprimé une frustration croissante face à ce qu'il perçoit comme une mainmise algérienne sur les questions sécuritaires sahéliennes, dénonçant le double discours d'Alger, qui prône la paix tout en hébergeant, selon lui, des « criminels » responsables de l’instabilité dans le nord du Mali.
Il est vrai que l'Algérie, de par sa proximité avec le Mali et son expérience en matière de lutte contre le terrorisme, joue un rôle clé dans la région. Mais ce rôle, souvent ambigu, suscite des interrogations. Les relations historiques entre Alger et certains groupes armés touaregs, notamment dans le cadre des rébellions passées, alimentent la méfiance de Bamako, qui voit dans ces relations une forme de protection offerte aux groupes qui refusent de désarmer.
Le Sahel : une région en quête de coopération régionale
La détérioration des relations entre le Mali et l'Algérie intervient à un moment crucial pour la région du Sahel, où les menaces sécuritaires continuent de croître. Les groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l'État islamique ont consolidé leur présence, et les forces de sécurité maliennes, malgré des offensives répétées, peinent à sécuriser l’ensemble du territoire. Dans ce contexte, la coopération régionale apparaît plus nécessaire que jamais.
Toutefois, cette coopération semble de plus en plus difficile à envisager. L'Algérie, malgré ses déclarations d'intention en faveur de la stabilité régionale, est accusée de jouer un double jeu. Le Mali, lui, semble de plus en plus isolé, surtout après la rupture de ses relations avec la France et le départ des forces de l'opération Barkhane. La Russie, nouveau partenaire privilégié du Mali, n’a pas encore réussi à inverser la tendance sur le terrain, malgré une présence militaire accrue à travers le groupe Wagner.
Dans ce contexte de rivalité et de méfiance, la question se pose : comment ces deux pays frontaliers, tous deux confrontés à la menace terroriste, peuvent-ils trouver un terrain d’entente ? La réconciliation entre Bamako et Alger est-elle possible dans un avenir proche, ou cette guerre des mots n'est-elle que le prélude à une rupture plus profonde ?
Vers une nécessaire réconciliation pour la stabilité régionale
La stabilité du Sahel dépend en grande partie de la capacité des États de la région à coopérer efficacement. Le Mali et l’Algérie, en tant que puissances frontalières et acteurs majeurs de la lutte contre le terrorisme, ont un rôle crucial à jouer. Mais pour cela, il est impératif que la confiance soit rétablie entre les deux nations.
Une réconciliation semble toutefois lointaine tant que les accusations mutuelles continueront à envenimer les relations bilatérales. L’Algérie, avec son influence diplomatique et militaire, doit répondre aux préoccupations du Mali et clarifier sa position vis-à-vis des groupes armés présents sur son territoire. De son côté, le Mali doit s’efforcer de rétablir des canaux de communication ouverts et de renoncer à la rhétorique accusatrice qui, si elle trouve un écho dans une opinion publique malienne exaspérée par l’insécurité, risque d’aggraver la situation régionale.
Dans un contexte où les forces terroristes continuent de menacer la stabilité du Sahel, la coopération entre Bamako et Alger est plus que jamais nécessaire. La survie de l'Accord d'Alger ou tout autre mécanisme de paix dépendra de la volonté des deux pays de dépasser leurs différends et de s'unir dans la lutte contre le terrorisme.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon