En Égypte, le combat pour la liberté d'expression et les droits de l’homme se poursuit dans l'ombre d'un régime autocratique de plus en plus répressif. Ce lundi, Laila Soueif, la mère du célèbre activiste et défenseur des droits humains Alaa Abdel-Fattah, a entamé une grève de la faim, en un geste désespéré pour exiger la libération de son fils, détenu dans les geôles égyptiennes depuis plusieurs années. Abdel-Fattah, symbole des espoirs de la révolution égyptienne de 2011, est aujourd'hui un martyr vivant, broyé par la machine répressive du gouvernement de Abdel-Fattah el-Sissi.
Un dissident devenu figure de la répression
À 42 ans, Alaa Abdel-Fattah incarne le visage d'une génération qui avait rêvé d'un avenir démocratique pour l'Égypte, avant de sombrer dans l’ère des répressions massives post-révolutionnaires. Son parcours est emblématique de la désillusion qui a suivi la chute de Hosni Moubarak en 2011. Il fut l'une des figures de proue des soulèvements pro-démocratiques qui ont secoué la région lors du Printemps arabe, espérant, comme tant d'autres jeunes, voir naître une Égypte nouvelle, libérée des chaînes de la dictature.
Toutefois, l’espoir a rapidement laissé place à l’amertume. Alaa Abdel-Fattah a été emprisonné pour la première fois en 2014, accusé de participation à une manifestation non autorisée et d’avoir prétendument agressé un policier. Sa peine de cinq ans, purgée dans des conditions particulièrement dures, aurait dû s’achever le 29 septembre 2023. Pourtant, les autorités égyptiennes refusent aujourd'hui de le libérer, malgré l'expiration officielle de sa peine, une violation manifeste du code pénal égyptien.
Une mère en lutte pour la liberté
Face à cette injustice flagrante, Laila Soueif, universitaire et activiste de longue date, a décidé d'entamer une grève de la faim, déterminée à ne pas laisser son fils disparaître dans les oubliettes du pouvoir. « À ce stade, je considère qu'il s'agit d'un enlèvement et d'une détention illégale », a-t-elle déclaré dans un communiqué poignant publié lundi, dénonçant les pratiques autoritaires des autorités égyptiennes.
Le calvaire de la famille Abdel-Fattah ne se limite pas à l’injustice du refus de libération. Alaa Abdel-Fattah fait toujours face à d'autres accusations, notamment l'usage présumé abusif des réseaux sociaux et l’adhésion à un groupe terroriste, en l’occurrence les Frères musulmans, organisation bannie par le gouvernement depuis 2013. Ces accusations, selon ses proches, relèvent d’une tentative éhontée d’étouffer toute opposition politique en le maintenant derrière les barreaux pour des années encore.
Un symbole de l’étouffement des libertés en Égypte
Alaa Abdel-Fattah n’est pas un cas isolé. Depuis l’arrivée au pouvoir du président el-Sissi, l’Égypte a sombré dans une répression politique sans précédent. Human Rights Watch estime qu’il y aurait 60 000 prisonniers politiques dans les prisons égyptiennes, victimes de condamnations arbitraires, de tortures, et de conditions de détention inhumaines. Le gouvernement, ayant consolidé son pouvoir à la suite du renversement du président Mohamed Morsi en 2013, a institué un climat de peur, interdisant pratiquement toute forme de manifestation publique et surveillant étroitement les communications sur les réseaux sociaux.
En 2021, Alaa Abdel-Fattah a été de nouveau condamné à cinq ans d’emprisonnement pour la diffusion de prétendues « fausses nouvelles ». Malgré son statut de citoyen britannique, acquis en 2022, et les appels réitérés de la communauté internationale, le militant reste enfermé dans une cellule insalubre. Sa famille, impuissante, a multiplié les appels à l’aide, sollicitant notamment le soutien du gouvernement britannique, sans succès jusqu’à présent.
En novembre 2022, lors de la COP27, qui se tenait à Charm el-Cheikh, Alaa Abdel-Fattah avait intensifié sa propre grève de la faim, cessant toute consommation de nourriture et d’eau en guise de protestation. Ce geste, dramatique et symbolique, visait à attirer l'attention mondiale sur sa situation et celle des milliers de prisonniers politiques en Égypte. Sophie Soueif, sa sœur, avait alors joué un rôle central dans la médiatisation de cette action, alertant les médias et les diplomates présents à la conférence.
Cependant, après plusieurs jours sans s’alimenter, Abdel-Fattah s'est effondré dans sa cellule et a été contraint d’interrompre son mouvement. Son état de santé, gravement détérioré par les années de détention et les multiples grèves de la faim, suscite toujours des inquiétudes profondes. Les autorités égyptiennes, refusant tout accès médical indépendant, entretiennent le flou sur son état physique actuel.
Une communauté internationale impuissante
En dépit des efforts de la société civile et de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, la situation d'Alaa Abdel-Fattah et des prisonniers politiques en Égypte reste extrêmement préoccupante. 59 organisations égyptiennes et internationales ont récemment signé un appel pour réclamer la libération immédiate de l’activiste, avertissant que son incarcération pourrait se prolonger jusqu'en 2027 si les autorités continuent d’ignorer les appels au respect de la loi.
Pourtant, l'Égypte, pays clé du Moyen-Orient, demeure un partenaire stratégique pour de nombreuses puissances occidentales, ce qui limite l’ampleur des pressions diplomatiques exercées sur le régime d’el-Sissi. La communauté internationale, notamment le Royaume-Uni, semble hésiter à prendre des mesures fermes, de crainte de compromettre des relations économiques et sécuritaires vitales.
Conclusion : La lutte pour la justice continue
Le cas d’Alaa Abdel-Fattah est devenu le symbole de la dérive autoritaire de l’Égypte sous Abdel-Fattah el-Sissi, un pays où l’espoir de la révolution de 2011 s’est transformé en un cauchemar pour ceux qui avaient rêvé de liberté. Alors que Laila Soueif, dans un dernier acte de résistance maternelle, entame sa grève de la faim, elle espère rallumer une étincelle de conscience chez ceux qui peuvent encore faire bouger les choses.
La détention prolongée d’Alaa Abdel-Fattah n’est pas seulement une tragédie personnelle. Elle est le reflet d’un système qui broie toute forme de dissidence et muselle un peuple autrefois épris de justice et de dignité. Jusqu’à quand le monde regardera-t-il sans agir ? C’est la question que posent aujourd’hui Laila Soueif et tous ceux qui, comme elle, refusent d’abandonner la lutte pour les droits de l’homme en Égypte.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon