Ouagadougou, octobre 2024 — La scène est familière pour les habitants et les visiteurs de la capitale burkinabè. Dans les rues bondées d’Ouagadougou, le son incessant des klaxons se mêle aux rugissements des moteurs et au brouhaha des marchés. Ici, le klaxon n’est pas seulement un outil pour signaler un danger imminent ; il est devenu un moyen de communication, un exutoire, voire une sorte de réflexe collectif qui témoigne de la vie urbaine trépidante de la ville.
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Ce bruit constant est loin de la réalité des conducteurs des pays tels que le Botswana, la Namibie, le Rwanda, Maurice, les Seychelles, Eswatini et le Cap-Vert. Dans ces nations africaines, les automobilistes sont réputés pour leur patience, leur respect du code de la route et une utilisation parcimonieuse, voire quasi inexistante, du klaxon. Les règles de conduite sont appliquées avec rigueur, et le calme des routes traduit une culture de la courtoisie au volant. Alors que ces pays africains se distinguent par une conduite ordonnée et une absence de nuisances sonores liées aux klaxons, la capitale burkinabè semble engagée dans un crescendo sonore qui semble difficile à endiguer.
La culture du klaxon à Ouagadougou : un héritage urbain ou un chaos sonore ?
Le klaxon à Ouagadougou fait presque partie de l’ADN urbain. Dans une circulation dense où voitures, motos, bicyclettes et charrettes se disputent la chaussée, il est utilisé pour manifester l’impatience, signaler un dépassement, prévenir d’un ralentissement soudain, ou simplement exprimer la frustration. Les taxis klaxonnent pour attirer l’attention des passants, les motocyclistes le font pour forcer le passage, et les automobilistes le brandissent comme une arme sonore dans le chaos de la ville.
« À Ouagadougou, le klaxon est une langue universelle, une sorte de code non verbal qui organise la cacophonie », explique Dramane Kaboré, sociologue de la circulation. « Pour beaucoup, klaxonner est devenu un réflexe : c’est à la fois une alerte, un moyen de s’imposer dans le trafic et même un moyen de se défouler face à la congestion. »
Cette dépendance au klaxon, bien que commune dans de nombreuses villes africaines, devient un problème de santé publique. En effet, l’exposition prolongée à un bruit élevé engendre du stress, de l’anxiété, et une baisse de la qualité de vie des habitants, tout en augmentant le risque de troubles auditifs. Les études menées par l’Université Joseph Ki-Zerbo montrent que les décibels relevés en pleine journée dans certains quartiers d’Ouagadougou dépassent largement les seuils recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plaçant cette nuisance sonore au même niveau qu’un bruit industriel.
Comparaison avec les pays africains « modèles » en matière de conduite
Au Botswana, en Namibie, au Rwanda, et aux Seychelles, l’usage du klaxon est rare, voire perçu comme un comportement incivil. Dans ces pays, le code de la route est scrupuleusement respecté, et les automobilistes affichent une courtoisie qui a valu à ces nations une réputation enviable. À Kigali, capitale rwandaise, par exemple, les embouteillages sont gérés avec calme, les conducteurs patientent aux feux rouges sans signal sonore intempestif, et les piétons traversent sans se presser, assurés de leur sécurité.
« La différence est frappante », témoigne Ousmane Kaboré, un Burkinabè ayant vécu deux ans à Windhoek, capitale namibienne. « Là-bas, il est inconcevable de klaxonner sans raison valable. Le calme règne dans les rues. Au Burkina, nous avons pris l’habitude de faire du bruit pour un rien. »
Dans ces pays « modèles », la discipline au volant et le respect du code de la route ne sont pas seulement des exigences réglementaires ; ils sont enracinés dans la culture sociale, un prolongement de valeurs communautaires centrées sur la tranquillité et le respect mutuel. À Maurice, par exemple, les autorités n’hésitent pas à sanctionner lourdement l’usage excessif du klaxon, et des campagnes de sensibilisation promeuvent une conduite apaisée pour un espace public harmonieux.
Pourquoi Ouagadougou peine-t-elle à suivre cet exemple ?
Plusieurs raisons expliquent cette réalité sonore d’Ouagadougou. D’abord, l’expansion rapide de la ville, combinée à une démographie galopante, a fait exploser le nombre de véhicules sur les routes. En l’absence d’infrastructures adaptées pour absorber ce flux, la circulation est devenue un défi quotidien. Les feux tricolores, parfois défectueux ou inexistants dans certaines zones, et les règles de priorité peu respectées, accentuent les tensions, favorisant un recours quasi-systématique au klaxon.
De plus, le code de la route souffre d’un manque d’application rigoureuse. Les forces de l’ordre, bien que présentes, se concentrent souvent sur des contrôles documentaires et peinent à pénaliser les infractions de conduite, laissant la porte ouverte aux comportements imprudents.
Enfin, il existe un aspect socioculturel : à Ouagadougou, klaxonner est devenu une habitude ancrée dans les comportements collectifs. Le klaxon n’est plus seulement un avertissement sonore ; il est intégré à la culture urbaine comme une forme d’expression et de communication. « Les gens s’en servent comme d’un langage, un moyen de signaler leur présence, d’avertir, d’exprimer leur mécontentement », analyse l’anthropologue Aminata Traoré. « Dans une ville où l’espace est souvent disputé, où chacun tente de se frayer un chemin, le klaxon est le symbole sonore d’une lutte pour la place. »
Les efforts et pistes de solution pour une ville plus silencieuse
Face à cette situation, plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter d’apaiser l’ambiance sonore de la capitale. La mairie de Ouagadougou a, par exemple, lancé en 2023 une campagne de sensibilisation appelée « Ouaga sans bruit », visant à éduquer les automobilistes sur l’usage approprié du klaxon. Cette campagne, qui inclut des affichages, des spots radio et des formations dans les auto-écoles, encourage une conduite plus respectueuse des normes de sécurité et de quiétude.
Les autorités envisagent également d’investir dans des infrastructures de circulation plus modernes, notamment l’installation de feux tricolores intelligents dans les carrefours les plus fréquentés et le développement de voies réservées aux motos pour réduire les embouteillages. Des discussions sont en cours pour renforcer la réglementation autour de l’usage du klaxon, avec des amendes plus dissuasives pour les abus.
En parallèle, des associations citoyennes militent pour une refonte des comportements au volant. « Silence Ouaga » est un collectif qui organise des ateliers et des forums pour sensibiliser les citoyens aux impacts négatifs du bruit et les inviter à adopter une conduite plus respectueuse. Le collectif propose aussi d’organiser des journées sans klaxon, inspirées des « journées sans voiture » observées dans plusieurs métropoles mondiales.
Vers une transformation des mentalités ?
La voie vers un Ouagadougou plus calme est semée d’embûches, mais les observateurs estiment qu’elle n’est pas impossible. Le succès des pays africains modèles comme le Botswana ou le Rwanda démontre qu’une approche stricte, combinée à une sensibilisation permanente, peut transformer les comportements. Cependant, une telle transformation nécessite un engagement fort des autorités, un cadre législatif adapté et une mobilisation des citoyens autour d’un projet commun de tranquillité urbaine.
« Nous pouvons apprendre de l’exemple rwandais », souligne un professeur de Mathematiques à la retraite, Ouédraogo Gaoussou. « Si nous voulons un Ouagadougou calme, il faut que chacun prenne conscience de son rôle dans l’espace public. Cela demande du temps, mais c’est faisable. »
Pour de nombreux habitants, la perspective d’une capitale plus apaisée représente un idéal vers lequel tendre. Les klaxons de Ouagadougou, jadis symbole d’une ville en effervescence, pourraient, avec le temps, céder la place à un environnement sonore plus serein, un signe de modernité et de respect de la vie collective.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon