Ouagadougou — Face aux défis croissants en matière de souveraineté numérique, trois nations du Sahel ont franchi une étape décisive. Sous l’impulsion de Halguièta Nassa Trawina, présidente de la Commission de l’informatique et des libertés (CIL) du Burkina Faso, une rencontre historique s’est tenue à Ouagadougou ce mercredi, réunissant les responsables des autorités de protection des données personnelles du Mali et du Niger. L’objectif : sceller une alliance stratégique pour renforcer la défense de leurs données et bâtir une souveraineté numérique commune, garante de l’indépendance des pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES).
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Cette concertation, initiée en marge de la Semaine du numérique, témoigne d’une ambition renouvelée : celle de protéger les citoyens et l’intégrité des États face aux menaces du cyberespace, en partageant des ressources et en harmonisant leurs efforts de protection des données à caractère personnel.
Un partenariat stratégique au cœur des enjeux de la souveraineté numérique
À l’ère de la transformation numérique, les enjeux de souveraineté dépassent largement le champ de la défense militaire ou de la politique énergétique. Pour les autorités de la CIL, de la Haute autorité de protection des données à caractère personnel du Niger (HAPDP), et de l’Autorité de protection des données à caractère personnel du Mali (APDP), il est devenu impératif de maîtriser les informations des citoyens afin de contrer les tentatives d’intrusion, de surveillance illégale ou d’influence étrangère.
Dans cette optique, Mme Halguièta Nassa Trawina a rappelé la nécessité d’une démarche coordonnée pour se doter des outils adéquats : « Les défis en matière de protection des données à caractère personnel sont pratiquement les mêmes dans nos trois pays. Nous allons donc réfléchir à comment mutualiser nos efforts pour les relever. » Une déclaration qui traduit une volonté de bâtir une structure de coopération régionale capable de rivaliser avec les normes internationales et de défendre, de manière proactive, les intérêts des nations de l’AES.
Des projets de convention pour renforcer la coopération
La concertation de Ouagadougou s’est rapidement traduite par des engagements concrets. Mme Trawina a révélé l’existence de projets de convention qui visent à formaliser la coopération trilatérale en matière de protection des données personnelles. « Des projets ont déjà été proposés. Il nous reste à regarder les procédures administratives indispensables à leur formalisation », a-t-elle déclaré.
Ces projets de convention pourraient inclure la création d’une base de données interconnectée, des protocoles de protection transfrontaliers, et des directives communes pour lutter contre le vol et la manipulation des données. Un tel cadre pourrait également encourager la création de centres régionaux de cyberdéfense, dotés de personnels formés aux technologies de pointe, capables de prévenir et de contrer les cyberattaques.
La souveraineté numérique, nouvelle ligne de front des États du Sahel
Les prises de position des intervenants ont largement illustré l’importance de la souveraineté numérique pour l’avenir des États membres de l’AES. Iro Adamou, président de la HAPDP du Niger, a exprimé avec force l’impératif de maîtriser les données pour préserver la souveraineté de son pays : « Dans le futur, les armées n’auront plus besoin de s’affronter physiquement, car dès lors que vous maîtrisez les données à caractère personnel d’un pays, vous maîtrisez tout le pays », a-t-il affirmé. Un avertissement qui souligne le potentiel stratégique des données personnelles et la nécessité d’une gestion rigoureuse pour éviter que celles-ci ne tombent entre de mauvaises mains.
Le professeur Mamoudou Samassekou, président de l’APDP du Mali, a abondé dans le même sens, insistant sur la valeur de la coopération entre les États du Sahel : « Il est essentiel de privilégier la collaboration et la mutualisation des efforts. Je ne doute pas de notre réussite car ce qui nous réunit est plus important que ce qui nous sépare. » Pour lui, le partage d’informations et de ressources est la clé pour bâtir une défense robuste et adaptable face aux menaces numériques.
Un défi de gouvernance et de législation
Cette rencontre entre les autorités de protection des données du Burkina Faso, du Mali et du Niger soulève des questions de gouvernance et d’harmonisation législative. Dans ces trois pays, la mise en place de lois de protection des données reste un chantier évolutif, souvent contraint par des ressources limitées. Harmoniser les textes juridiques pour établir un cadre cohérent et rigoureux à l’échelle régionale est un défi colossal, mais qui pourrait porter ses fruits en facilitant les échanges et en renforçant la sécurité.
Cette concertation s’inscrit également dans une prise de conscience de l’importance de sensibiliser la population aux enjeux de la protection des données. Assurer la confidentialité des informations personnelles implique une éducation numérique pour éviter la diffusion de données sensibles et pour comprendre les risques liés aux réseaux sociaux et aux services numériques.
L’alliance de l’AES, fer de lance d’une autonomie numérique africaine
Au-delà du Burkina Faso, du Mali et du Niger, l’initiative pourrait servir de modèle pour d’autres pays de la région, confrontés aux mêmes défis de souveraineté et de sécurité numériques. Les nations membres de l’AES, tout comme d’autres États africains, pourraient voir dans cette alliance un tremplin pour se doter d’une autonomie technologique et mettre fin à leur dépendance vis-à-vis des infrastructures de stockage et de traitement des données hébergées à l’étranger.
Des experts du secteur estiment que la création d’une infrastructure numérique commune pour les pays du Sahel pourrait offrir une alternative crédible et résiliente face aux multinationales du numérique, dont les pratiques commerciales et les préoccupations en matière de confidentialité sont parfois en décalage avec les réalités locales. En effet, l’initiative de la CIL pourrait s’étendre pour inclure une plateforme numérique régionale, permettant un contrôle interne des données et une réponse rapide aux menaces potentielles.
Une lueur d’espoir pour la protection de la vie privée en Afrique
Cette rencontre à Ouagadougou marque un tournant pour la protection de la vie privée en Afrique, une région où les droits numériques sont souvent menacés par des régulations insuffisantes et une dépendance aux géants internationaux du numérique. En unissant leurs forces, le Burkina Faso, le Mali et le Niger affirment une volonté de construire une protection des données en phase avec leurs valeurs et leurs objectifs nationaux.
Cette initiative ouvre la voie à une gouvernance numérique plus équitable et à une protection renforcée des citoyens. Elle pourrait également devenir un levier pour encourager d’autres nations à collaborer et à se doter de cadres juridiques solides en matière de cybersécurité et de protection des données.
Conclusion : vers une Afrique souveraine et autonome sur le plan numérique
En conclusion, l’alliance entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger pour la protection des données personnelles est plus qu’un projet technique : c’est une affirmation de leur souveraineté et de leur indépendance face aux enjeux globaux de sécurité numérique. L’initiative de Mme Halguièta Nassa Trawina et l’engagement de ses homologues malien et nigérien donnent l’espoir d’une gouvernance concertée et respectueuse de la vie privée des citoyens. À travers cette collaboration, les États du Sahel jettent les bases d’un avenir où l’Afrique pourra contrôler ses données, protéger ses citoyens et garantir sa sécurité numérique.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon