La ville balnéaire de Sotchi, en Russie, a accueilli les 9 et 10 novembre une conférence ministérielle Russie-Afrique marquée par des promesses ambitieuses et des engagements fermes de la part du président russe Vladimir Poutine. Dans un contexte géopolitique tendu, où la Russie cherche à diversifier ses alliances, ce sommet a réuni des délégations venues de cinquante pays africains, témoignant de la volonté du Kremlin d’intensifier ses liens avec le continent. Les ambitions affichées de la Russie vont de la coopération militaire à l’accompagnement dans le domaine de la transition numérique, en passant par le soutien dans les infrastructures et le développement durable.
/image%2F2577874%2F20241112%2Fob_66f256_le-president-russe-vladimir-poutine-e.jpg)
Un « soutien total » à l’Afrique : des ambitions stratégiques aux échos de la guerre froide
Dans un discours chargé d’engagements et de promesses, Vladimir Poutine a affirmé la détermination de la Russie à offrir un « soutien total » aux pays africains, en réponse à des besoins pressants de développement et de sécurité. Ce langage, bien que diplomatique, reflète une rhétorique qui n’est pas sans rappeler celle de la guerre froide, lorsque Moscou cherchait déjà à contrer l’influence des puissances occidentales sur le continent africain. Poutine a insisté sur le fait que cette alliance stratégique pourrait marquer un tournant pour l’Afrique en matière d’indépendance économique et de renforcement de sa souveraineté face aux « pressions de l’Occident collectif ».
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a également souligné la dynamique croissante entre Moscou et les pays africains, affirmant que « malgré les défis posés par l'Occident collectif », la Russie a maintenu et même renforcé ses relations avec de nombreux partenaires africains. Lavrov, qui a multiplié les déplacements en Afrique ces dernières années, a martelé que la Russie serait un allié fiable, offrant une alternative aux modèles d’aide et de coopération proposés par les puissances occidentales.
Néocolonialisme et discours anti-occidental : le ciment de la coopération russo-africaine ?
Cette conférence intervient dans un contexte où la Russie, isolée sur la scène internationale en raison de sa guerre en Ukraine, redouble d’efforts pour tisser de nouveaux liens diplomatiques et économiques. Les accusations de néocolonialisme dirigées contre les puissances occidentales ont formé un axe rhétorique puissant, Moscou n’hésitant pas à se poser en défenseur de la souveraineté africaine contre ce qu’elle qualifie d'ingérence étrangère. « L'Afrique est un continent fort, avec des nations souveraines qui ne doivent pas être subordonnées aux caprices des puissances étrangères », a déclaré Poutine, réaffirmant la volonté de la Russie de traiter ses partenaires africains en égaux, et non en subordonnés.
Ce discours résonne auprès de certains leaders africains, notamment ceux qui éprouvent une certaine méfiance envers les institutions internationales dominées par les puissances occidentales. Le président burkinabé Ibrahim Traoré, par exemple, a récemment appelé à une coopération plus équilibrée, où les intérêts africains seraient véritablement pris en compte. Cette convergence de points de vue donne à la Russie l’opportunité d’apparaître comme un allié de choix face à un Occident perçu comme interventionniste et conditionnant souvent son aide à des critères de gouvernance.
Les promesses économiques : du développement numérique aux ressources naturelles
Par-delà les discours politiques, la conférence a mis en lumière des enjeux économiques qui sont essentiels pour les deux partenaires. La Russie, forte de ses compétences dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie et de la technologie, a proposé un large éventail de projets de coopération. Un des principaux domaines évoqués est celui du développement numérique, où la Russie pourrait fournir un savoir-faire essentiel aux pays africains désireux de rattraper leur retard technologique. Le Kremlin espère également renforcer sa présence dans l’exploitation des ressources naturelles africaines, domaine dans lequel plusieurs entreprises russes sont déjà actives, notamment dans les secteurs minier et énergétique.
L’initiative de la Russie en matière de développement numérique pourrait jouer un rôle crucial pour l’Afrique, qui aspire à moderniser ses économies et à favoriser la connectivité. Moscou envisage de soutenir les gouvernements africains dans la mise en place d’infrastructures numériques et la formation d’experts locaux, en vue de leur donner les moyens de maîtriser les technologies de pointe. En investissant dans ce domaine, la Russie espère capter une part des marchés émergents africains et ainsi contourner, voire concurrencer, l’influence chinoise dans la région.
Les préoccupations sécuritaires et la lutte contre le terrorisme : une aide militaire en question
Le renforcement de la coopération militaire, en particulier dans la lutte contre le terrorisme, constitue un autre pilier de la promesse de « soutien total » formulée par Moscou. Plusieurs pays africains, notamment au Sahel, sont confrontés à une montée en puissance des groupes jihadistes et à une insécurité croissante. La Russie, par le biais de son groupe paramilitaire Wagner, s’est déjà engagée aux côtés de certaines nations, comme le Mali et la Centrafrique, pour lutter contre ces menaces.
Cependant, l’influence de Wagner en Afrique soulève des inquiétudes sur la scène internationale. Les méthodes brutales de ce groupe paramilitaire, ainsi que son rôle dans les affaires internes des pays où il opère, sont critiquées par les organisations internationales. Malgré cela, les dirigeants de pays en crise sécuritaire voient dans la Russie un partenaire pragmatique, peu regardant sur les questions de gouvernance, et qui pourrait fournir des solutions immédiates à des problèmes complexes.
Un partenariat stratégique : entre opportunisme et perspectives durables
Malgré le discours séduisant et les promesses affichées, certains observateurs restent sceptiques quant à la réelle profondeur de l’engagement russe sur le continent africain. Les critiques pointent du doigt un opportunisme de la part de Moscou, qui verrait dans l'Afrique un levier pour contourner les sanctions économiques imposées par l’Occident. Le Dr Moussa Ndiaye, spécialiste des relations internationales à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, souligne que la Russie « s’engage dans des partenariats stratégiques avec l’Afrique, non par conviction altruiste, mais par nécessité géopolitique ».
Le Dr Ndiaye rappelle également que les relations économiques russo-africaines, bien qu’en expansion, restent bien en deçà de celles entretenues avec les autres grandes puissances économiques, telles que la Chine ou les États-Unis. Ce contraste alimente les doutes quant à la capacité de la Russie à offrir un soutien durable et à mener des projets de développement à long terme sur le continent. En dépit de la volonté de Moscou d’intensifier ses investissements, la question de la pérennité des accords signés avec les pays africains demeure donc incertaine.
Un avenir incertain mais prometteur ?
Pour les dirigeants africains, la relation avec la Russie représente à la fois une opportunité et un défi. Certains voient en ce partenariat une alternative aux modèles de coopération traditionnels, dans lesquels ils estiment avoir peu de contrôle. Toutefois, ils sont conscients des limites d’une coopération trop exclusive avec Moscou et de l’importance de diversifier leurs alliances pour ne pas retomber dans des schémas de dépendance unilatérale.
La conférence de Sotchi s’achève ainsi sur un constat mitigé : d’un côté, des promesses abondantes et une volonté affichée de coopération étroite, et de l’autre, des interrogations persistantes sur la sincérité des intentions russes. Alors que la Russie tente de redorer son image en Afrique, les pays africains eux-mêmes, échaudés par des décennies de promesses non tenues de la part des puissances étrangères, abordent cette relation avec un optimisme prudent.
Pour l’heure, les promesses de Vladimir Poutine laissent entrevoir un futur où l’Afrique pourrait, à travers un partenariat stratégique avec la Russie, gagner en autonomie et en force. Toutefois, seul le temps permettra de mesurer si cette relation sera véritablement transformative ou si elle restera, comme tant d’autres, marquée par des asymétries et des intérêts divergents. Dans un monde multipolaire en mutation rapide, l'Afrique, forte de sa jeunesse, de ses ressources et de ses ambitions, aspire à un partenariat qui lui permettra enfin de devenir un acteur autonome sur la scène internationale.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon