28-29 novembre : Une visite hautement symbolique
Les Invalides, lieu chargé d’histoire, a été le théâtre d’un accueil solennel pour Ahmed Bola Tinubu, président de la République fédérale du Nigéria. Cette visite d’État, la plus prestigieuse dans la hiérarchie protocolaire, marque un tournant dans les relations entre Paris et Abuja. Si les discussions au Palais de l’Élysée ont mis en avant les enjeux bilatéraux, elles révèlent également les grandes ambitions françaises en Afrique de l’Ouest dans un contexte géopolitique en pleine reconfiguration.

Un agenda économique au cœur des priorités
Le caractère économique de cette visite éclipse quelque peu les considérations politiques, bien que les deux dimensions soient étroitement liées. Avec une population de 227 millions d’habitants et un PIB représentant 60 % de celui de la CEDEAO, le Nigéria incarne un géant régional incontournable. Premier producteur de pétrole en Afrique et possédant d’immenses réserves gazières, le pays suscite l’intérêt des multinationales françaises telles que TotalEnergies et CMA-CGM. Ces entreprises, fer de lance de la diplomatie économique française, s’impliquent dans des secteurs clés : hydrocarbures, agro-industrie, services bancaires, et industries créatives.
Un forum économique réunissant une centaine d’entreprises françaises et leurs homologues nigérianes a ainsi constitué un point d’orgue de ce séjour. Objectif : approfondir les synergies économiques et explorer de nouvelles opportunités d’investissement dans un pays où la demande croissante de diversification économique ouvre des perspectives prometteuses.
Une reconfiguration géopolitique pour Paris
Sur le plan politique, cette visite traduit une évolution stratégique majeure de la diplomatie française en Afrique. La France, confrontée à une rupture progressive avec plusieurs pays sahéliens tels que le Mali et le Burkina Faso, réoriente son engagement vers des nations moins enracinées dans son histoire coloniale. Le Nigéria, membre clé de la CEDEAO, répond à cette exigence par son poids démographique, économique et politique.
Cette stratégie, amorcée dès le premier mandat d’Emmanuel Macron, s’inscrit dans une logique de diversification des partenariats africains. Les visites présidentielles en Angola, au Mozambique, et la récente intensification des relations avec Abuja en témoignent. Dans un Sahel en plein bouleversement, marqué par la montée des régimes militaires et le désengagement partiel des forces françaises, Paris s’efforce de sécuriser ses intérêts via des alliances alternatives.
Sécurité et défis communs
L’un des axes cruciaux des discussions a été la sécurité régionale. Le Nigéria, bien que prospère, reste confronté à des défis majeurs, notamment l’insurrection de Boko Haram et des bandes criminelles dans sa région septentrionale. La coopération sécuritaire entre Paris et Abuja, bien qu’encore embryonnaire, pourrait se renforcer dans les années à venir, notamment à travers des formations, des échanges de renseignements, et un soutien technique accru.
Cette dynamique s’inscrit également dans un cadre sous-régional : stabiliser le golfe de Guinée et contenir les ramifications du terrorisme sahélien. La France, autrefois perçue comme le garant sécuritaire du Sahel, cherche désormais à redéfinir son rôle, s’appuyant davantage sur des partenariats équilibrés avec des puissances régionales.
Un pari diplomatique audacieux
En conclusion, la visite d’État d’Ahmed Bola Tinubu dépasse le cadre bilatéral et symbolise l’ambition française de repenser son approche africaine. Loin des schémas hérités, Paris s’appuie sur des nations dynamiques et stratégiquement positionnées comme le Nigéria pour préserver son influence économique et politique.
Si la réussite de cette stratégie repose en grande partie sur la capacité des deux nations à transformer les promesses en actions concrètes, elle ouvre néanmoins la voie à une coopération renouvelée, capable de surmonter les défis du 21ᵉ siècle dans une Afrique en mutation.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon