Ce dimanche 15 décembre 2024, Abuja, capitale du Nigéria, est devenue l’épicentre des débats géopolitiques en Afrique de l’Ouest avec la tenue du 66ᵉ sommet ordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette rencontre cruciale réunit plusieurs dirigeants de la sous-région dans un contexte particulièrement complexe, marqué par des tensions internes, des divisions politiques et des défis sécuritaires majeurs. Toutefois, certaines absences ont retenu l’attention, notamment celle du président béninois, Patrice Talon, qui a délégué sa représentation au ministre d’État chargé de l’Économie, des Finances et de la Coopération, Romuald Wadagni.
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Un sommet sous haute tension politique et stratégique
Le 66ᵉ sommet ordinaire de la CEDEAO intervient dans un climat de recomposition géopolitique marqué par des crises politiques et sécuritaires sans précédent. Parmi les thématiques inscrites à l’ordre du jour figurent :
- Les coups d’État successifs qui ont bouleversé l’ordre constitutionnel dans certains États membres, notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger, désormais regroupés sous la bannière de la Confédération des États de l’AES (Alliance des États du Sahel).
- Les sanctions économiques et politiques imposées à ces pays, qui continuent de diviser l’opinion au sein de l’organisation.
- La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, qui menace de déstabiliser davantage une région déjà fragilisée.
À cela s’ajoutent les enjeux liés à la création de la monnaie unique ECO, un projet qui peine à avancer en raison des divergences économiques et politiques entre les États membres.
L’absence de Patrice Talon : une décision stratégique ?
Si l’absence de Faure Gnassingbé, président du Togo, a également été remarquée, celle de Patrice Talon a particulièrement suscité des interrogations. Chef d’État connu pour sa discrétion et son pragmatisme, Talon a confié la responsabilité de représenter le Bénin à l’un de ses plus proches collaborateurs, Romuald Wadagni, ministre d’État et acteur clé des réformes économiques du pays.
Cette absence pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. D’une part, le Bénin, bien que membre actif de la CEDEAO, adopte depuis quelques années une posture de relative réserve face aux querelles internes qui agitent l’organisation. D’autre part, le contexte géopolitique tendu, notamment la polarisation autour des sanctions contre les trois États sahéliens, pourrait avoir motivé une telle décision.
En effet, Patrice Talon a régulièrement plaidé pour une approche mesurée dans la gestion des crises politiques et sécuritaires. Son absence pourrait donc traduire une volonté de ne pas s’aligner ouvertement sur certaines positions radicales au sein de la CEDEAO, tout en préservant la diplomatie béninoise.
Un leadership ouest-africain divisé
Les images diffusées sur les réseaux sociaux officiels de la CEDEAO ont révélé la présence des chefs d’État tels que Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Nana Akufo-Addo (Ghana), Umaro Sissoco Embaló (Guinée-Bissau), Adama Barrow (Gambie) et Bola Tinubu, président hôte. Ces dirigeants se sont réunis pour tenter de resserrer les rangs d’une organisation minée par les divisions internes.
Cependant, le retrait officiel du Mali, du Burkina Faso et du Niger, désormais unis sous la Confédération des États de l’AES, constitue un défi de taille pour la CEDEAO. Ces trois pays, représentant un bloc géographique et stratégique crucial, ont reproché à l’organisation son parti-pris perçu en faveur des sanctions plutôt que d’un dialogue inclusif.
Le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Aliou Touré, a souligné lors de l’ouverture des travaux l’urgence d’une réponse collective face aux crises régionales. De son côté, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a réitéré l’importance de préserver l’intégrité et l’unité de la CEDEAO.
Un avenir incertain pour la CEDEAO
Ce sommet ordinaire, bien qu’essentiel, a mis en lumière les défis croissants auxquels fait face l’organisation ouest-africaine. La question des sanctions contre les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger reste un sujet épineux. Une partie des membres plaide pour un assouplissement des mesures, tandis que d’autres estiment qu’un recul affaiblirait davantage la crédibilité de la CEDEAO.
La lutte contre le terrorisme, notamment dans le Sahel et le Golfe de Guinée, constitue également une priorité incontournable. La récente multiplication des attaques dans des zones naguère considérées comme sûres, comme le nord du Bénin, accentue la nécessité d’une coopération régionale renforcée. Or, les divisions internes entravent les initiatives communes.
Enfin, l’absence de consensus sur des projets structurants tels que la monnaie unique ECO reflète les disparités économiques et politiques persistantes entre les membres. Ce projet, initialement prévu pour 2020, semble aujourd’hui relégué au second plan face aux urgences sécuritaires.
Quelle posture pour le Bénin dans ce contexte ?
Le Bénin, sous la présidence de Patrice Talon, a opté pour une approche pragmatique dans ses relations avec la CEDEAO. Tout en restant un membre actif, le pays semble privilégier la préservation de ses intérêts nationaux face aux querelles régionales.
Avec une économie en pleine transformation et des réformes structurelles ambitieuses, le Bénin cherche à consolider sa position comme un modèle de stabilité et de développement en Afrique de l’Ouest. L’absence de Talon à Abuja pourrait ainsi s’interpréter comme un choix de ne pas s’impliquer directement dans des débats où les intérêts du Bénin ne sont pas immédiatement concernés.
Conclusion : une CEDEAO à la croisée des chemins
Le 66ᵉ sommet ordinaire de la CEDEAO reflète une organisation en quête de son unité et de sa pertinence. Les absences remarquées de certains chefs d’État, dont Patrice Talon, témoignent des tensions et des hésitations qui traversent la sous-région.
Alors que les défis sécuritaires, politiques et économiques se multiplient, l’avenir de la CEDEAO dépendra de sa capacité à renouer avec sa mission première : promouvoir l’intégration et la solidarité entre ses membres. À défaut, elle risque de perdre son rôle central au profit de nouvelles alliances, comme celle formée par les États de l’AES, redéfinissant ainsi les dynamiques géopolitiques en Afrique de l’Ouest.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon