À quelques semaines du scrutin prévu en février 2025 pour la présidence de la Commission de l’Union Africaine (UA), les grandes manœuvres diplomatiques battent leur plein sur le continent. Deux figures majeures émergent comme favoris dans cette élection décisive : le vétéran kényan Raila Odinga, ancien Premier ministre et figure politique incontournable de l’Afrique de l’Est, et le diplomate djiboutien Mahamoud Ali Youssouf, actuel ministre des Affaires étrangères de Djibouti. Si le premier bénéficie d’une stature internationale et d’un capital politique établi, le second joue habilement la carte de la solidarité francophone pour fédérer un soutien crucial. La bataille promet d’être serrée et déterminante pour l’avenir du leadership continental.
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Raila Odinga : Une figure panafricaine aux ambitions assumées
À 79 ans, Raila Odinga n’a rien perdu de son charisme ni de son ambition politique. Chef historique de l’opposition kényane, plusieurs fois candidat à la présidence de son pays, l’homme jouit d’une reconnaissance continentale acquise au fil des décennies. Sa candidature à la tête de la Commission de l’UA est perçue comme l’aboutissement d’une longue carrière dédiée à la démocratie, au développement et à l’unité africaine.
Son programme, articulé autour d’une vision panafricaine audacieuse, repose sur des axes majeurs : renforcer la capacité de l’UA à gérer les crises sécuritaires, promouvoir une intégration économique accrue et accélérer la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Odinga mise sur son expérience pour convaincre :
« L’Afrique a besoin d’un leadership fort, visionnaire et inclusif pour relever les défis du 21ᵉ siècle. Nous devons consolider notre unité, renforcer nos institutions et mobiliser nos ressources pour bâtir un continent souverain et prospère. »
Fort du soutien de plusieurs pays anglophones de l’Afrique de l’Est, dont le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda, Raila Odinga compte également sur les diplomaties sud-africaine et nigériane pour élargir sa base d’appui. Toutefois, cette coalition anglophone fait face à un obstacle majeur : l’influence croissante du bloc francophone, stratégiquement mobilisé par son principal rival.
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Mahamoud Ali Youssouf : L’art de fédérer le bloc francophone
En face de Raila Odinga, Mahamoud Ali Youssouf, diplomate chevronné et ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis plus de 20 ans, apparaît comme l’homme du consensus pour le camp francophone. Sa candidature repose sur un double argument : la nécessité d’un équilibre régional dans le leadership de l’UA et l’affirmation du poids politique de la francophonie au sein de l’organisation continentale.
Depuis l’annonce de sa candidature, Mahamoud Ali Youssouf multiplie les rencontres avec ses homologues africains, particulièrement en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, régions traditionnellement influencées par la sphère francophone. Des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Congo-Brazzaville ou encore le Tchad se positionnent déjà comme des alliés de poids dans cette course électorale.
Dans ses discours, Mahamoud Ali Youssouf plaide pour une UA plus pragmatique et efficace, capable d’assurer la sécurité collective et de défendre les intérêts économiques du continent :
« L’Afrique doit parler d’une seule voix sur la scène mondiale, mais elle ne pourra y parvenir qu’en résolvant ses propres contradictions internes. Ma priorité sera d’unir nos efforts pour une gouvernance efficace et une paix durable. »
Le diplomate djiboutien a également joué habilement sur la fibre identitaire et linguistique, en positionnant sa candidature comme celle d’un renouveau pour la communauté francophone africaine, souvent marginalisée face à l’influence des blocs anglophone et lusophone.
Un affrontement aux enjeux stratégiques pour l’Afrique
L’élection du prochain président de la Commission de l’UA intervient dans un contexte continental marqué par des défis multiples : crises sécuritaires persistantes au Sahel et dans la Corne de l’Afrique, tensions politiques croissantes dans plusieurs États membres, pressions économiques dues aux effets combinés de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Face à ces enjeux, le futur leader de la Commission devra faire preuve de leadership, de pragmatisme et d’une capacité à réconcilier des visions parfois divergentes au sein de l’organisation.
La compétition entre Raila Odinga et Mahamoud Ali Youssouf met également en lumière les équilibres géopolitiques au sein de l’Union Africaine. Si le bloc anglophone a longtemps dominé l’agenda continental grâce à la puissance économique du Nigeria et de l’Afrique du Sud, le bloc francophone, sous l’impulsion de pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, cherche à reprendre l’initiative et à réaffirmer son poids diplomatique.
Des soutiens déterminants en balance
À quelques semaines du scrutin, les jeux restent ouverts. Des pays comme l’Égypte, l’Algérie et le Maroc occupent une position stratégique dans cette élection. Leur capacité à basculer d’un camp à l’autre pourrait s’avérer décisive pour départager les deux candidats. De même, les nations lusophones comme l’Angola et le Mozambique jouent les arbitres, en pesant le rapport de force entre anglophones et francophones.
Les institutions sous-régionales, telles que la CEDEAO en Afrique de l’Ouest et l’IGAD dans la Corne de l’Afrique, exercent également une influence non négligeable sur le choix des électeurs. L’habileté des candidats à courtiser ces organisations pourrait faire pencher la balance.
Un choix pour l’avenir du continent
L’élection de février 2025 ne sera pas simplement un duel entre deux personnalités charismatiques, mais un moment décisif pour l’Union Africaine. Raila Odinga incarne une vision panafricaine ambitieuse, centrée sur l’intégration économique et la gouvernance démocratique. Mahamoud Ali Youssouf, quant à lui, propose un pragmatisme fédérateur, fondé sur le renforcement des capacités institutionnelles et la consolidation de la sécurité collective.
Le choix des chefs d’État africains ne sera pas anodin. Il déterminera le visage de l’Union Africaine pour les prochaines années, dans un monde en mutation où le continent doit se positionner comme un acteur clé, capable de défendre ses intérêts sur la scène mondiale.
Reste à savoir si Raila Odinga, fort de son aura panafricaine, parviendra à dépasser les frontières linguistiques pour s’imposer, ou si Mahamoud Ali Youssouf réussira son pari de rassembler le bloc francophone pour écrire une nouvelle page de l’histoire de l’UA. Quoi qu’il en soit, les prochaines semaines s’annoncent cruciales et promettent une bataille diplomatique intense, où chaque soutien comptera pour déterminer l’avenir du continent africain.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon