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RADIO TANKONNON

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Il y a cinquante ans, la dislocation des Comores : une fracture historique et ses résonances contemporaines

Publié par RADIO TAN KONNON sur 20 Décembre 2024, 22:29pm

Catégories : #ANALYSE

Le 22 décembre 1974 reste gravé dans l’histoire des Comores comme un jour de décision cruciale, mais aussi comme le point de départ d’une fracture insulaire aux conséquences profondes. Ce jour-là, les Comorien·nes sont appelé·es à s’exprimer sur leur avenir politique, lors d’un référendum d’autodétermination organisé par la France. Les résultats, pourtant clairs dans leur globalité, seront interprétés par Paris d’une manière qui scellera la dislocation de l’archipel et jettera les bases d’un conflit identitaire et diplomatique qui perdure encore aujourd’hui.

Le peuple comorien
Le peuple comorien

Alors que la majorité des habitants de l’archipel opte pour l’indépendance, l’île de Mayotte choisit massivement de rester au sein de la République française. Ce choix, que le gouvernement français interprétera en appliquant une lecture « île par île » des résultats, provoquera la rupture entre les îles sœurs de l’archipel. Retour sur cet événement historique aux ramifications encore sensibles un demi-siècle plus tard.

Le contexte : des Comores en quête d’émancipation

Les Comores, situées dans l’océan Indien entre Madagascar et le continent africain, forment un archipel composé de quatre îles principales : Grande Comore, Mohéli, Anjouan, et Mayotte. Colonisées par la France au XIXᵉ siècle, elles deviennent un territoire d’outre-mer (TOM) en 1946.

Dans les années 1960 et 1970, un vent de décolonisation souffle sur le monde. Comme dans de nombreux territoires sous domination coloniale, l’aspiration à l’autodétermination gagne du terrain aux Comores. Les élites politiques et une grande partie de la population expriment un désir d’indépendance. Cependant, ce mouvement n’est pas homogène : certaines voix, notamment à Mayotte, se montrent plus prudentes et favorables au maintien des liens avec la France, en raison de disparités économiques, sociales et culturelles perçues entre les îles.

En 1974, face à la montée des revendications indépendantistes, la France décide d’organiser un référendum d’autodétermination. L’ensemble de l’archipel est invité à se prononcer sur l’avenir politique des Comores : indépendance ou maintien dans la République française.

Les résultats : une unité fragilisée

Les résultats du référendum du 22 décembre 1974 sont sans équivoque dans leur globalité. Près de 96 % des Comorien·nes votent pour l’indépendance. Cependant, lorsqu’on examine les résultats île par île, une divergence majeure apparaît :

  • À Grande Comore, Mohéli et Anjouan, les votes en faveur de l’indépendance sont écrasants.
  • À Mayotte, en revanche, le « non » l’emporte à 63 %, révélant un rejet de l’indépendance et une volonté de rester sous souveraineté française.

Cette divergence traduit des réalités complexes. Mayotte, moins peuplée et dotée d’une histoire spécifique, a été davantage influencée par la présence française. Beaucoup de Mahorais craignent un isolement économique et politique dans une union avec les autres îles, perçues comme moins développées.

Une décision controversée : l’application d’une lecture « île par île

Malgré l’engagement initial de la France à respecter la volonté collective de l’archipel, le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing prend une décision controversée. Il choisit d’interpréter les résultats « île par île », acte qui rompt l’unité des Comores.

Le 6 juillet 1975, sous l’impulsion du président Ahmed Abdallah, les Comores proclament leur indépendance en incluant Mayotte. Mais Paris refuse de reconnaître cette souveraineté sur l’ensemble de l’archipel et maintient son contrôle sur Mayotte. Une série de scrutins locaux, organisés dans un contexte de forte influence française, confirme la volonté des Mahorais de rester rattachés à la République.

En 1976, Mayotte devient une « collectivité territoriale » française, marquant officiellement la séparation de l’archipel. Cette décision, vécue comme un coup de force par les autorités comoriennes, entérine la dislocation des Comores et ouvre une plaie diplomatique qui ne se refermera jamais vraiment.

Les conséquences : une fracture durable

La dislocation des Comores a des répercussions profondes, tant sur le plan local qu’international :

1. Une crise identitaire et diplomatique

Pour les Comores indépendantes, la séparation de Mayotte est perçue comme une injustice historique et une atteinte à l’intégrité territoriale de l’archipel. Le gouvernement comorien ne cesse de revendiquer la souveraineté sur Mayotte, une position soutenue par de nombreuses résolutions des Nations Unies et de l’Union africaine.

De son côté, Mayotte, devenue département français en 2011, connaît un développement économique et social supérieur à celui des autres îles. Cette divergence accentue les tensions et alimente un ressentiment au sein des Comores.

2. Des disparités économiques et sociales

Mayotte, bénéficiant des investissements français, se distingue par des infrastructures modernes, un système de santé performant et un niveau de vie plus élevé. En revanche, les Comores indépendantes luttent contre des défis économiques persistants, aggravés par une instabilité politique chronique.

Cette disparité entraîne des flux migratoires massifs depuis les autres îles vers Mayotte. Des milliers de Comorien·nes tentent chaque année de rejoindre Mayotte, souvent au péril de leur vie, à bord de kwassa-kwassa.

3. Une mémoire collective fragmentée

Le souvenir de la dislocation de l’archipel est vécu différemment selon les îles. Si pour Mayotte, le choix du rattachement à la France est synonyme de sécurité et de développement, pour les autres îles, il symbolise une trahison et une rupture douloureuse.

Cinquante ans après : un avenir incertain

Cinquante ans après le référendum de 1974, les Comores restent marquées par cette fracture originelle. Les revendications sur Mayotte persistent, mais elles se heurtent à une réalité diplomatique et géopolitique complexe.

Pourtant, certains espèrent qu’une réconciliation entre les îles de l’archipel reste possible. Des initiatives culturelles et des projets de coopération transfrontalière tentent de recréer des liens, mais les défis économiques, politiques et sociaux demeurent immenses.

En définitive, l’histoire de la dislocation des Comores, inscrite dans le contexte postcolonial, illustre les tensions entre aspirations nationales et influences extérieures. Elle rappelle aussi que les décisions politiques prises dans un moment de crise peuvent avoir des conséquences durables sur les territoires et les peuples concernés.

L’archipel des Comores, malgré ses divisions, porte encore en lui les traces d’une identité commune, forgée par une histoire partagée et une résilience exceptionnelle. Mais pour que cette unité se réalise pleinement, il faudra bien plus que des résolutions diplomatiques : il faudra une volonté collective de surmonter les blessures du passé et d’inventer un avenir commun.

Saidicus Leberger

Pour Radio Tankonnon 

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