La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a franchi un pas décisif dans l’épineux dossier du retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ces trois pays, déjà en rupture ouverte avec l’organisation régionale depuis plusieurs mois, voient désormais leur divorce avec la CEDEAO prendre une tournure officielle. Lors d'une déclaration solennelle, le président de la Commission de la CEDEAO a annoncé que le Conseil des ministres était chargé de formaliser les procédures de sortie et d’élaborer un plan d’urgence pour réorganiser les relations politiques et économiques avec ces nations sahéliennes.
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Ce processus marque un véritable tournant dans l’histoire de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, remettant en cause des décennies de coopération institutionnelle et économique. Il pose de nombreuses questions sur l’avenir des populations de la sous-région, les équilibres politiques, sécuritaires et économiques, et les défis qui attendent ces États désormais en marge du bloc régional.
La rupture consommée : un retrait inévitable ?
La décision des autorités de la CEDEAO ne tombe pas de nulle part. Elle est la conséquence d’un bras de fer prolongé entre les instances dirigeantes de l’organisation et les régimes militaires en place au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Depuis les coups d’État successifs dans ces trois pays entre 2020 et 2023, les relations se sont considérablement détériorées, alimentées par des sanctions économiques, des désaccords politiques profonds et une perception accrue d’ingérence.
Les trois nations sahéliennes, unies sous l’étendard de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont annoncé conjointement en janvier 2024 leur décision de quitter la CEDEAO. Elles reprochent au bloc régional une approche jugée punitive et un manque de soutien face aux défis sécuritaires et humanitaires auxquels elles sont confrontées. Pour les dirigeants de ces pays, la CEDEAO aurait sacrifié la solidarité régionale sur l’autel des pressions internationales, notamment celles exercées par des puissances occidentales.
Les étapes d’un divorce formel
Conformément aux statuts de la CEDEAO, le retrait d’un État membre est un processus complexe qui nécessite des démarches formelles. Le Conseil des ministres, en charge de la procédure, devra non seulement examiner les modalités techniques et juridiques du départ, mais également proposer des solutions pour éviter une rupture brutale des liens existants.
L’annonce inclut également l’élaboration d’un plan d’urgence visant à redéfinir les relations politiques et économiques avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce plan pourrait prévoir des accords bilatéraux ou multilatéraux alternatifs pour limiter l’impact économique de ce retrait sur ces pays enclavés et dépendants du commerce sous-régional.
Conséquences économiques : un défi colossal
L’un des enjeux majeurs de ce divorce concerne les conséquences économiques pour les populations des trois pays. En quittant la CEDEAO, le Mali, le Burkina Faso et le Niger se retirent également de certains instruments clés tels que la liberté de circulation des biens et des personnes, les accords commerciaux régionaux et les mécanismes d'intégration économique comme la zone de libre-échange.
Ces trois pays, fortement dépendants des échanges transfrontaliers avec leurs voisins, risquent de voir leurs économies se fragiliser davantage. Le Mali, par exemple, exporte une grande partie de son coton via les ports de la sous-région, tandis que le Niger et le Burkina Faso dépendent des corridors économiques pour acheminer leurs ressources minières.
Le retrait de la CEDEAO pourrait ainsi compliquer ces chaînes logistiques et imposer des taxes douanières supplémentaires, alourdissant les coûts pour les populations déjà éprouvées par des crises économiques et humanitaires.
Impact sur la sécurité régionale
La CEDEAO, créée en 1975, a également joué un rôle essentiel en matière de sécurité régionale. Son intervention dans des conflits armés ou des crises politiques a permis, par le passé, de stabiliser plusieurs États membres. Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger remet en question les mécanismes existants pour lutter contre le terrorisme et les insurrections qui ravagent le Sahel.
En réponse à ce retrait, les trois États sahéliens semblent vouloir renforcer leur coopération militaire au sein de l’AES. Toutefois, leur isolement croissant au sein du bloc régional risque d’affaiblir les efforts collectifs pour contenir les groupes armés djihadistes. La CEDEAO, pour sa part, devra repenser sa stratégie sécuritaire sans ces trois États stratégiques, situés en première ligne de la guerre contre le terrorisme.
Réactions des parties prenantes
Cette évolution historique suscite des réactions partagées. Les dirigeants de l’AES affichent leur détermination à prendre leur destin en main. Le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta, a déclaré : « Le Mali refuse de subir des diktats. Nous privilégions la souveraineté et la dignité de nos peuples. »
Du côté de la CEDEAO, certains chefs d’État regrettent ce départ, tout en insistant sur la nécessité de respecter les principes démocratiques. « Nous aurions préféré un dialogue constructif, mais nous devons respecter les choix souverains des États membres, même s’ils nous affaiblissent collectivement », a affirmé un diplomate ouest-africain sous couvert d’anonymat.
Quelles alternatives pour l’avenir ?
Alors que la CEDEAO amorce ce processus de formalisation, une question cruciale demeure : quel avenir pour l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest ? Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger pourrait ouvrir la voie à une redéfinition du rôle et des missions de la CEDEAO. De nouvelles alliances économiques et politiques pourraient émerger, avec des partenaires extra-régionaux comme la Russie, la Chine ou la Turquie.
Par ailleurs, l’Alliance des États du Sahel pourrait chercher à élargir son influence en attirant d’autres pays partageant des aspirations similaires. Cette dynamique pourrait conduire à une bipolarisation de la région, opposant une CEDEAO traditionnelle à un bloc sahélien en pleine affirmation.
Un tournant historique à l’issue incertaine
Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la CEDEAO représente bien plus qu’un simple divorce institutionnel : c’est un véritable séisme politique, économique et géostratégique pour l’Afrique de l’Ouest. Si ce processus aboutit, il redéfinira profondément les relations entre les États de la région et imposera une recomposition des alliances.
Reste à savoir si ce retrait permettra à ces pays de retrouver la stabilité et la souveraineté tant recherchées ou s’il marquera le début de nouvelles fragilités régionales. Pour l’heure, la CEDEAO et les nations sahéliennes entament un bras de fer silencieux dont l’issue sera scrutée par toute l’Afrique et le monde.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon