Ouagadougou – Dans un geste hautement symbolique et porteur d’espoir pour l’intégration régionale, le Collège des Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel (AES) a adopté, ce samedi, une déclaration historique sur la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement des ressortissants de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au sein de l’espace confédéral.
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Cette décision, saluée par nombre d’observateurs, marque une nouvelle étape dans les relations entre ces deux ensembles géopolitiques et jette les bases d’une coopération renforcée, malgré les tensions récentes.
Un tournant décisif pour l’intégration régionale
Une ouverture audacieuse dans un contexte géopolitique tendu
La déclaration intervient alors que le Sahel est au cœur des préoccupations sécuritaires, économiques et sociales de la région ouest-africaine. Les trois pays membres de la Confédération des États du Sahel – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – s’étaient récemment retirés de la CEDEAO, dénonçant les sanctions économiques et politiques imposées à leurs régimes de transition militaire.
Cependant, loin de se refermer sur eux-mêmes, ces États montrent aujourd’hui leur volonté d’intégrer leurs voisins dans un cadre novateur, en accordant aux citoyens de la CEDEAO des droits fondamentaux équivalents à ceux de leurs propres ressortissants. Cette initiative vise à maintenir des liens solides avec les populations ouest-africaines tout en affirmant l’autonomie politique et stratégique de la Confédération.
Un texte ambitieux et inclusif
Adoptée à l’unanimité, la déclaration prévoit plusieurs mesures concrètes pour garantir la libre circulation et les droits des ressortissants de la CEDEAO dans l’espace AES :
- Abolition des visas pour les déplacements à l’intérieur des frontières de la Confédération.
- Droit de résidence pour les citoyens de la CEDEAO, permettant un séjour prolongé sans restrictions administratives excessives.
- Droit d’établissement, incluant la possibilité d’exercer librement des activités économiques, professionnelles ou académiques.
- Harmonisation des cadres juridiques pour protéger les travailleurs migrants et garantir leurs droits sociaux et économiques.
Le président de la Confédération, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso, a salué cette déclaration comme un pas en avant vers « un Sahel fort, ouvert et solidaire avec ses frères et sœurs ouest-africains. »
Une vision pragmatique : économie, solidarité et souveraineté
Un pari sur l’intégration économique
Pour les dirigeants de l’AES, la libre circulation n’est pas seulement une question de principe, mais aussi une nécessité économique. Le Sahel, confronté à des défis majeurs – insécurité, changement climatique, et pauvreté structurelle – ne peut se relever sans une coopération régionale accrue.
Cette ouverture vise à stimuler le commerce transfrontalier, à encourager l’investissement et à faciliter les échanges humains et culturels. « Nos économies sont interdépendantes. Il est impératif de créer un environnement où les compétences, les capitaux et les marchandises peuvent circuler librement », a déclaré le président malien Assimi Goïta.
Un message de solidarité
Au-delà des considérations économiques, cette initiative envoie un message fort de fraternité à l’égard des populations ouest-africaines. Les chefs d’État de l’AES ont insisté sur le fait que cette déclaration ne doit pas être perçue comme une tentative de rivaliser avec la CEDEAO, mais plutôt comme une opportunité de réinventer les liens entre les pays membres et leurs voisins.
Le général Abdourahamane Tchiani, chef de l’État du Niger, a déclaré : « Nous tendons la main à nos frères ouest-africains pour bâtir ensemble un avenir commun. Nos frontières ne doivent pas être des murs, mais des ponts. »
Les défis à relever : entre ambition et pragmatisme
Une mise en œuvre qui suscite des questions
Si cette déclaration est saluée pour son ambition, sa mise en œuvre ne sera pas sans défis. La sécurité reste un obstacle majeur dans la région. Avec des groupes armés actifs dans de vastes zones frontalières, garantir la sécurité des citoyens en déplacement est une priorité absolue.
De plus, la viabilité économique de ces mesures dépendra de la capacité de l’AES à mobiliser des ressources et à renforcer ses institutions. Les experts soulignent également la nécessité de clarifier les relations entre l’AES et la CEDEAO, notamment en ce qui concerne les politiques commerciales et douanières.
Une réponse aux critiques internationales
La Confédération des États du Sahel a été critiquée par certains acteurs internationaux pour son retrait de la CEDEAO et son rapprochement stratégique avec des partenaires tels que la Russie. Cette déclaration sur la libre circulation pourrait être perçue comme une tentative de redorer son image sur la scène internationale.
Cependant, pour les dirigeants de l’AES, cette initiative n’est pas un calcul politique, mais un engagement envers les peuples ouest-africains. « Nous ne cherchons pas à diviser, mais à unir différemment », a martelé Ibrahim Traoré.
Une opportunité pour réinventer l’intégration régionale
En adoptant cette déclaration, la Confédération des États du Sahel se positionne comme un laboratoire d’idées pour une intégration régionale repensée, basée sur la souveraineté, la solidarité et le pragmatisme.
Cette démarche pourrait inspirer une réforme plus large de la CEDEAO elle-même, souvent critiquée pour son inefficacité et son manque de représentativité des populations. Comme l’a souligné l’analyste politique burkinabè Imhotep Lianoué Bayala, « l’AES pourrait devenir un modèle pour une intégration africaine plus authentique, centrée sur les besoins des peuples. »
Vers un avenir partagé
Alors que la Confédération des États du Sahel trace sa propre voie, la déclaration sur la libre circulation des ressortissants de la CEDEAO reflète une vision ambitieuse : celle d’un Sahel ouvert, résilient et solidaire.
Si les défis sont nombreux, l’espoir d’un renouveau régional l’est tout autant. Les prochains mois seront cruciaux pour transformer cette déclaration en réalité et prouver que l’intégration africaine peut prendre de nouvelles formes, adaptées aux réalités d’un continent en pleine mutation.
Une chose est certaine : le Sahel ne ferme pas ses portes, il les ouvre.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon