Le procès du détournement de plus de trois milliards de francs CFA au sein du ministère de l’Action humanitaire, un des dossiers les plus emblématiques de la lutte contre la corruption au Burkina Faso, a repris ce 3 décembre 2024 au Tribunal de grande instance de Ouagadougou I. Entre exceptions juridiques, tensions dans la défense, et stratégies procédurales, la journée d’audience a été marquée par une série de rebondissements inattendus, illustrant la complexité de cette affaire qui retient l’attention nationale.
Un contexte judiciaire sous haute tension
L’affaire, qui implique plusieurs prévenus, dont le principal accusé Amidou Tiegnan, ancien haut cadre du ministère, met en lumière des dysfonctionnements présumés dans la gestion des fonds publics destinés à des actions humanitaires. Des sommes colossales, censées alléger les souffrances des populations vulnérables, auraient été détournées pour des usages personnels ou frauduleux.
Dès l’ouverture des débats, une stratégie de défense particulièrement offensive a été déployée par les avocats de Amidou Tiegnan, lesquels ont multiplié les objections procédurales pour tenter de ralentir l’instruction du fond du dossier.
L’exception d’inconstitutionnalité, un coup de théâtre juridique
Alors que les débats s’orientaient enfin vers l’examen des faits, l’avocate principale de la défense, Me Geneviève Ouédraogo, a choisi de soulever une exception d’inconstitutionnalité contre l’article 118 de la loi n°16-2016, qui encadre la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Cet article impose des peines fermes aux personnes reconnues coupables, sans possibilité de sursis. Selon la défense, cette disposition constituerait une atteinte aux principes fondamentaux garantis par la Constitution, notamment en matière de proportionnalité des peines.
Me Ouédraogo a donc demandé au Tribunal de suspendre le procès et de saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur cette exception d’inconstitutionnalité. Une requête lourde de conséquences, puisqu’elle remet temporairement en cause une partie du cadre légal utilisé pour juger ce type d’affaires.
Un Tribunal face à une décision délicate
Après une suspension d’audience pour délibération, le juge a finalement décidé de surseoir à statuer sur l’accusation de blanchiment de capitaux, le temps que le Conseil constitutionnel rende son avis. Cependant, pour éviter un blocage total de la procédure, il a ordonné la disjonction des poursuites, permettant ainsi que les débats se poursuivent sur les autres infractions reprochées aux prévenus, notamment le détournement de fonds publics et la corruption.
Cette décision équilibrée visait à concilier le respect des droits de la défense avec l’impératif d’une justice efficace, mais elle n’a pas suffi à apaiser les tensions.
Un coup dur pour la défense : les avocats se déportent
Alors que la procédure semblait reprendre son cours, un nouveau rebondissement est survenu. Me Geneviève Ouédraogo, prenant la parole au nom de l’ensemble des avocats de Amidou Tiegnan, a annoncé leur décision de se déporter du dossier. Ce retrait collectif, motivé par leur désaccord avec le déroulement de la procédure, laisse le principal prévenu sans défense, plongeant le procès dans une impasse temporaire.
Pour Amidou Tiegnan, cette annonce constitue une épreuve supplémentaire. Confronté à des accusations graves, il doit désormais se trouver un nouvel avocat en un temps limité.
Le Tribunal fixe un ultimatum
Face à cette nouvelle complication, le juge a rappelé avec fermeté que « la justice ne saurait se conformer aux rythmes dictés par les personnes poursuivies ». Refusant de prolonger indéfiniment une procédure déjà complexe, il a accordé à Amidou Tiegnan un délai jusqu’au 9 décembre prochain pour désigner un nouvel avocat.
Le prévenu a fait part de son intention de consulter sa famille avant de prendre une décision, mais le Tribunal a insisté sur l’urgence de la situation. En outre, il a invité le futur conseil à se rendre rapidement au greffe pour examiner les pièces du dossier, afin d’assurer une reprise rapide des débats.
Des enjeux juridiques et politiques majeurs
L’affaire Amidou Tiegnan dépasse largement le cadre strictement judiciaire. Elle s’inscrit dans un contexte de lutte renforcée contre la corruption et le détournement des deniers publics, des fléaux qui minent la gouvernance et affaiblissent la confiance des citoyens dans les institutions.
Le détournement présumé de fonds destinés à l’action humanitaire revêt une gravité particulière, car il touche directement les populations les plus vulnérables. Le procès est ainsi perçu comme un test pour le système judiciaire burkinabè, dans sa capacité à rendre une justice impartiale, rapide et exemplaire.
De plus, le recours à l’exception d’inconstitutionnalité soulève des questions importantes sur l’équilibre entre l’efficacité des lois répressives et le respect des droits fondamentaux. L’avis du Conseil constitutionnel, attendu avec une grande impatience, pourrait avoir des répercussions significatives sur la législation en matière de blanchiment de capitaux et, par extension, sur d’autres affaires similaires.
Une attente pesante jusqu’au 9 décembre
D’ici la prochaine audience, l’avenir de ce procès reste suspendu à plusieurs inconnues : la désignation d’un nouvel avocat par Amidou Tiegnan, les éventuelles nouvelles stratégies de la défense, et surtout, la décision du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l’article 118.
Le Tribunal, tout en faisant preuve de rigueur, cherche à éviter que cette affaire emblématique ne s’enlise dans des querelles procédurales interminables. Mais pour les observateurs comme pour les citoyens, le véritable enjeu reste que justice soit rendue, dans le respect des droits et des principes qui fondent l’État de droit.
Le procès des 3 milliards est bien plus qu’un dossier judiciaire : c’est un miroir des défis auxquels le Burkina Faso fait face dans sa quête de transparence, de responsabilité et de justice sociale.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon