Le Niger, quatrième producteur mondial d’uranium, est au cœur d’un affrontement économique et politique majeur. Depuis le coup d’État militaire de juillet 2023, les relations entre Niamey et le groupe français Orano, ex-Areva, se sont détériorées. Cette crise révèle bien plus qu’un simple litige industriel : elle cristallise des tensions historiques sur la gestion des ressources stratégiques et soulève des questions cruciales sur la souveraineté économique du Niger.

Le contrôle de la Somaïr : un enjeu stratégique
La Société des Mines de l’Aïr (Somaïr), située dans la région d’Arlit, est une joint-venture détenue majoritairement par Orano (63,4 %), avec une participation de l’État nigérien (36,6 %). Ce partenariat, qui dure depuis des décennies, est aujourd’hui remis en cause par le Niger, qui souhaite reprendre la main sur l’exploitation et la commercialisation de son uranium.
Selon Ali Idrissa Nani, coordinateur du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB), cette revendication est une réponse aux blocages imposés par Orano suite à la fermeture des frontières avec le Bénin, principal corridor pour l’exportation de l’uranium nigérien.
« Ils [Orano] ne vont pas faciliter la tâche au Niger. C'est au Niger et aux Nigériens de voir comment maintenant faire en sorte que la production puisse continuer et aussi la vendre », affirme l’analyste.
Un conflit aux ramifications économiques et géopolitiques
La situation s’est aggravée lorsque Orano a décidé de suspendre les activités minières à Somaïr, invoquant des problèmes logistiques liés à l’embargo imposé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le coup d’État. Cependant, pour Niamey, cette justification masque une volonté délibérée de paralyser le secteur stratégique de l’uranium.
« Orano a de facto bloqué l'activité minière sur le terrain, sous prétexte qu’il était impossible de sortir l'uranium du territoire nigérien », explique Ali Idrissa Nani.
En réponse, les autorités nigériennes ont décidé de prendre des mesures unilatérales pour sécuriser la production et envisager une gestion autonome de l’uranium. Cette initiative marque un tournant dans les relations entre le Niger et le groupe français, remettant en question un modèle économique basé sur une dépendance historique.
Le dilemme de la souveraineté économique
L’uranium représente une ressource vitale pour le Niger, mais les retombées économiques pour le pays ont souvent été jugées insuffisantes. Alors que le Niger fournit près de 15 % de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires françaises, les populations locales bénéficient peu de cette richesse.
Selon des rapports de la société civile, les revenus issus de l’exploitation de l’uranium ne représentent qu’une fraction modeste du budget national, en raison de contrats jugés défavorables et d’une fiscalité faible appliquée aux multinationales.
En décidant de reprendre le contrôle de la Somaïr, les autorités nigériennes affichent leur ambition de renverser cette dynamique. Toutefois, cette décision n’est pas sans risques.
« Il est impératif que le Niger se donne tous les moyens de protection et argumentaire pour défendre sa position », insiste Ali Idrissa Nani.
Défis logistiques et commerciaux
Reprendre le contrôle de l’exploitation minière pose des défis majeurs. La commercialisation de l’uranium nigérien, qui nécessite un accès aux marchés internationaux, est rendue complexe par les sanctions imposées par la CEDEAO et le manque d’infrastructures alternatives.
Le corridor traditionnel passant par le port de Cotonou, au Bénin, est aujourd’hui impraticable. Les autorités nigériennes doivent donc envisager des solutions alternatives, comme des accords bilatéraux avec des pays voisins non alignés sur les sanctions, tels que l’Algérie.
En outre, le Niger devra convaincre de nouveaux partenaires financiers et industriels pour maintenir la viabilité de ses exploitations.
Un précédent inspirant pour l’Afrique ?
Au-delà des enjeux nationaux, cette crise pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble du continent africain. Le Niger, en cherchant à s’affranchir de l’hégémonie des multinationales occidentales, pourrait inspirer d’autres nations riches en ressources naturelles.
L’Afrique est depuis longtemps confrontée à une exploitation déséquilibrée de ses ressources, souvent au profit d’intérêts étrangers. Le cas du Niger pourrait servir de catalyseur pour repenser les modèles de partenariat économique, en mettant davantage l’accent sur la souveraineté et les bénéfices locaux.
Vers une rupture inévitable ?
Le bras de fer entre Niamey et Orano est symptomatique d’une prise de conscience plus large : celle d’un continent en quête de dignité et de justice économique. Si le Niger parvient à surmonter les défis logistiques et politiques liés à cette crise, il pourrait poser les jalons d’une nouvelle ère dans la gestion des ressources stratégiques en Afrique.
Cependant, la route vers l’autonomie sera longue et semée d’embûches. La communauté internationale observe avec attention l’évolution de cette situation, qui pourrait redéfinir les rapports de force dans l’industrie mondiale de l’uranium.
Le Niger, quant à lui, semble résolu à tourner la page d’une relation asymétrique avec Orano, dans l’espoir de bâtir un avenir plus équitable pour ses citoyens. Mais seul le temps dira si cette ambition pourra se transformer en réalité durable.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon