Adoptée dans un contexte de pression économique et sécuritaire croissante, la nouvelle réglementation financière de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) marque un tournant décisif pour les huit États membres de l’Union. En resserrant les mailles du filet autour des devises et en plaçant la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au cœur de ses priorités, cette réforme entend à la fois protéger les réserves de change et renforcer la stabilité économique de la région.
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Un cadre refondu pour répondre à des enjeux cruciaux
Le 20 décembre 2024, le Conseil des ministres de l’UEMOA a adopté cette nouvelle réglementation, remplaçant celle de 2010. Cette décision intervient dans un contexte où les États ouest-africains, confrontés à des défis multiples, cherchent à consolider leur souveraineté monétaire et économique tout en répondant aux menaces sécuritaires croissantes.
Pour la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui a piloté cette réforme, le constat est sans appel : les pratiques financières non contrôlées et les flux illicites de devises affaiblissent structurellement l’équilibre économique de la région. « Il était impératif de revoir notre cadre de régulation pour l’adapter aux réalités actuelles. Ce nouveau dispositif vise à mieux protéger nos économies tout en garantissant une transparence accrue dans les transactions financières », a déclaré Jean-Claude Kassi Brou, Gouverneur de la BCEAO.
Les grandes lignes de la réforme
La nouvelle réglementation introduit plusieurs mesures phares qui modifient en profondeur la gestion des relations financières extérieures dans l’espace UEMOA :
Renforcement du contrôle des devises
Les transactions impliquant des devises étrangères, qu’il s’agisse d’importation ou d’exportation de capitaux, sont désormais soumises à un cadre de déclaration plus strict. Toute opération excédant un certain seuil doit être accompagnée d’une justification détaillée, sous peine de sanctions sévères.
Protection des réserves de change
Afin de limiter l’érosion des réserves en devises, les autorités bancaires ont mis en place des mécanismes visant à décourager la fuite des capitaux. Cela inclut des plafonnements des transferts individuels et des restrictions sur les transactions sans contrepartie économique claire.
Lutte contre les flux financiers illicites
Au cœur de cette réforme figure une ambition claire : couper les circuits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Les banques et institutions financières de la région devront désormais renforcer leurs dispositifs de vigilance, en s’assurant de la conformité des transactions avec les normes internationales en la matière.
Digitalisation et traçabilité
La BCEAO entend également s’appuyer sur les technologies numériques pour améliorer la traçabilité des transactions. Une plateforme régionale de suivi des flux financiers sera mise en place, permettant une collaboration accrue entre les institutions financières et les autorités de régulation.
Des objectifs économiques et sécuritaires imbriqués
Si la réforme vise à stabiliser l’économie régionale, elle s’inscrit également dans une logique sécuritaire. Depuis plusieurs années, l’UEMOA est confrontée à une montée en puissance des réseaux criminels et terroristes qui exploitent les failles du système financier pour financer leurs activités. La fermeture des « brèches » évoquée par la BCEAO répond donc à un double impératif : protéger les États membres contre les menaces transnationales et garantir un environnement économique plus sûr.
« Nous devons prendre la mesure de la menace : chaque dollar non contrôlé, chaque transaction opaque, peut servir à alimenter des réseaux qui déstabilisent nos États. Cette réglementation est un outil essentiel pour garantir notre sécurité collective », a affirmé un haut responsable de la CEDEAO sous couvert d’anonymat.
Une réforme saluée, mais non sans critiques
La nouvelle réglementation a été accueillie avec enthousiasme par de nombreux acteurs institutionnels et financiers, qui y voient une avancée significative pour la stabilité de la région. Toutefois, certains observateurs expriment des réserves sur les risques potentiels qu’elle pourrait engendrer.
Pour les petites et moyennes entreprises (PME), souvent dépendantes de relations commerciales avec l’extérieur, les contraintes supplémentaires pourraient compliquer l’accès aux devises nécessaires pour leurs activités. De même, les travailleurs migrants, qui jouent un rôle crucial dans les économies locales grâce à leurs transferts d’argent, craignent une bureaucratisation accrue.
« Il est essentiel que cette réglementation n’étouffe pas les activités légitimes. La BCEAO devra veiller à ce que les nouvelles exigences soient accompagnées d’un soutien pour les acteurs les plus vulnérables », souligne un économiste basé à Dakar.
Un signal fort pour l’avenir
En adoptant cette réforme, l’UEMOA envoie un message clair : celui d’une région déterminée à reprendre le contrôle de ses ressources financières et à affirmer sa souveraineté économique. Cette initiative s’inscrit dans une dynamique plus large, où les pays africains revendiquent de plus en plus leur autonomie face aux modèles économiques hérités de l’ère coloniale.
Cependant, la réussite de cette nouvelle réglementation dépendra largement de sa mise en œuvre effective. Les États membres devront harmoniser leurs cadres juridiques et renforcer leurs capacités institutionnelles pour garantir l’efficacité du dispositif.
Un défi de taille, mais une opportunité historique
La réforme de l’UEMOA s’inscrit dans un contexte mondial marqué par une lutte accrue contre les flux financiers illicites. En se dotant d’un cadre adapté aux défis contemporains, la région se positionne comme un acteur engagé dans la construction d’un environnement économique transparent et sécurisé.
Si les défis restent immenses, cette nouvelle réglementation pourrait bien marquer le début d’une ère nouvelle pour l’espace UEMOA, où contrôle des devises et souveraineté économique ne sont plus des aspirations lointaines, mais des réalités concrètes.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon