Téhéran, 18 février 2025 – Dans un contexte international marqué par des bouleversements régionaux et des recompositions stratégiques, l’Iran et le Soudan ont franchi une étape décisive dans le renforcement de leurs relations bilatérales. La visite du ministre soudanais des Affaires étrangères, Ali Youssef Ahmed al-Sharif, à Téhéran, accueillie avec solennité par son homologue iranien, Abbas Araghchi, traduit une volonté claire des deux nations d’intensifier leur coopération, aussi bien sur le plan diplomatique que sécuritaire.
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Cette rencontre d’importance, ponctuée par la signature de protocoles d’accord et des échanges au plus haut niveau de l’État iranien, intervient à un moment où le Soudan, ravagé par la guerre civile opposant les Forces armées soudanaises (FAS) aux redoutables Forces de Soutien Rapide (FSR), cherche des soutiens solides sur la scène internationale. Téhéran, de son côté, s’affirme de plus en plus comme un acteur incontournable au sein du monde musulman, consolidant ses alliances dans un Moyen-Orient en mutation.
Des accords diplomatiques pour un nouvel élan bilatéral
L’un des points majeurs de cette visite officielle a été la signature de deux protocoles d’accord, reflétant la volonté commune d'approfondir les liens irano-soudanais. Le premier accord, d’une portée hautement symbolique, prévoit l’exemption de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service. En facilitant ainsi la mobilité des officiels des deux pays, cet engagement traduit une volonté politique assumée de fluidifier les échanges et de renforcer les consultations à tous les niveaux de l’appareil d’État.
Le second accord, sans doute plus stratégique, concerne la mise en place d’un comité politique conjoint, destiné à harmoniser les positions des deux pays sur les grandes questions régionales et internationales. Il s’agit là d’un instrument qui pourrait permettre à l’Iran et au Soudan de mieux coordonner leurs efforts diplomatiques face aux crises sécuritaires, aux défis économiques et aux ingérences étrangères, particulièrement dans le cadre du conflit soudanais.
Soutien iranien au Soudan : une alliance géopolitique assumée
Au-delà de ces accords, cette visite a été l’occasion pour l’Iran de réaffirmer sans ambiguïté son soutien au gouvernement soudanais dans la guerre qui l’oppose aux Forces de Soutien Rapide (FSR). Depuis avril 2023, ce conflit a plongé le Soudan dans une spirale de violences inouïes, causant plus de 20 000 morts et contraignant près de 14 millions de personnes à l’exode, selon les estimations des Nations unies.
Dans ce contexte dramatique, l’appui iranien revêt une importance capitale pour Khartoum, qui lutte pour restaurer l’ordre face à des FSR soupçonnées de bénéficier de soutiens étrangers occultes. En affichant son alignement avec le gouvernement soudanais, Téhéran s’inscrit ainsi dans une logique d’affrontement indirect avec les puissances accusées d’alimenter la déstabilisation du pays, à l’instar des États du Golfe qui, pour certains, entretiennent des relations ambivalentes avec les factions soudanaises.
Une visite ponctuée de rencontres au sommet
Cette coopération renouvelée ne s’est pas limitée à l’échange entre ministres des Affaires étrangères. Ali Youssef Ahmed al-Sharif a également été reçu par les plus hautes autorités iraniennes, soulignant ainsi l’importance stratégique que revêt ce rapprochement aux yeux de Téhéran.
Le ministre soudanais a eu un entretien approfondi avec le président iranien, Massoud Pezeshkian, qui a réaffirmé la position de son pays en faveur d’un Soudan souverain et stable, dénonçant les interférences extérieures qui attisent la guerre civile. De son côté, Mohammad Baqer Qalibaf, président du Parlement iranien, a mis en garde contre « les complots extérieurs visant à fragmenter le Soudan », une rhétorique qui fait écho aux discours régulièrement tenus par les dirigeants iraniens à propos des ingérences occidentales et des rivalités interarabes.
Des ambitions économiques en toile de fond
Si cette rencontre est avant tout politique et sécuritaire, elle porte en filigrane des enjeux économiques majeurs. Le Soudan, exsangue après des mois de conflit, cherche désespérément à diversifier ses alliances pour sortir de l’impasse économique. En se tournant vers l’Iran, Khartoum espère non seulement bénéficier d’un soutien diplomatique, mais également d’une coopération accrue dans les domaines énergétique, commercial et militaire.
L’Iran, pour sa part, voit dans ce rapprochement une opportunité stratégique pour renforcer son influence en Afrique de l’Est, une région où il cherche à contrer les intérêts de ses rivaux régionaux, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. La possibilité d’un approfondissement des échanges commerciaux, d’une coopération militaire accrue et d’un éventuel soutien logistique iranien au gouvernement soudanais sont autant de pistes qui pourraient émerger dans les mois à venir.
Un axe en gestation, sous le regard attentif de la communauté internationale
Ce rapprochement entre Téhéran et Khartoum ne manquera pas d’être scruté avec attention par les chancelleries occidentales et les puissances régionales. Alors que le Soudan demeure un théâtre d’affrontements par procuration entre différentes forces étrangères, l’alignement progressif de Khartoum avec l’Iran risque de provoquer des réactions, notamment de la part des États du Golfe et des États-Unis, qui voient d’un mauvais œil toute extension de l’influence iranienne en Afrique.
Le futur de cette alliance dépendra en grande partie de la capacité des deux nations à traduire ces engagements diplomatiques en actions concrètes. Si le renforcement des relations bilatérales se poursuit, il pourrait déboucher sur une coopération militaire et sécuritaire plus poussée, voire sur une convergence de vues sur les grandes crises du Moyen-Orient, notamment la question palestinienne et les tensions en mer Rouge.
Conclusion : une relation en pleine mutation
La visite du ministre soudanais en Iran marque une étape significative dans la reconfiguration des alliances au sein du monde musulman. Dans un environnement régional marqué par l’incertitude, l’axe Téhéran-Khartoum pourrait bien s’inscrire dans une dynamique durable, redéfinissant ainsi les équilibres au Soudan et au-delà.
Cependant, ce rapprochement soulève de nombreuses interrogations : jusqu’où le Soudan est-il prêt à s’aligner sur la politique régionale de l’Iran ? Quels impacts cette coopération aura-t-elle sur les équilibres géopolitiques du Moyen-Orient et de l’Afrique ? Et surtout, cette alliance permettra-t-elle d’apporter une véritable stabilité à un pays dévasté par la guerre ?
Autant de questions cruciales qui trouveront leur réponse dans les prochains mois, alors que le Soudan cherche à panser ses plaies et que l’Iran poursuit inlassablement sa quête d’influence sur l’échiquier international.
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